Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités
© Sony Interactive Entertainment
Games

2018, l'année des jeux "AAA" ?

Marvel's Spider-Man, Red Dead Redemption 2, God of War... Pas de doute, l'année 2018 a été dominée par les blockbusters de l'industrie. Mais pourquoi, au juste ?
Écrit par Kevin Wong
Temps de lecture estimé : 5 minutesPublished on
Quand on y pense, "l'année des blockbusters" a démarré le 12 juin 2017. Le jour où Sony a dévoilé, lors de sa conférence de presse à l'E3, le trailer de Marvel's Spider-Man. En l'espace de quelques jours, les réseaux sociaux s'enflamment et la vidéo comptabilise plus de 70 millions de vues.
Tout sauf un hasard, car le premier trailer est époustouflant. Chaque centimètre du costume, chaque mouvement de l'Homme-Araignée, chaque étincelle d'un bâtiment en flammes est minutieusement conçu. Une véritable prouesse technique.
C'est même "trop beau pour être vrai". Rapidement, les observateurs commencent à douter de la qualité du rendu final. Diffuser des images issues d'un prototype, dans un environnement fermé comme l'E3, c'est une chose. Avoir le même rendu visuel sur la PlayStation 4, et prouver que la prouesse graphique est bel et bien réelle, en est une autre. Depuis quelques années, de nombreux studios utilisent cette stratégie marketing pour marquer les esprits lors des salons. En 2005, Activision est l'un des premiers éditeurs à l'exploiter en dévoilant un trailer de Call of Duty 2 à la limite de la publicité mensongère. Mais pourquoi le stratagème fonctionne ? Parce qu'à l'époque, les joueurs n'ont qu'une vague idée des possibilités de la console.
Les spéculations autour de Spider-Man reprennent de plus belle avant la sortie du jeu, quand les fans comparent les premières images au dernier trailer dévoilé pendant la Gamescom 2018. C'est la fameuse "controverse de la flaque d'eau" (ou "Puddlegate", pour nos amis anglophones). De nombreux joueurs accusent Insomniac d'avoir "downgrade" le titre en se basant sur le fait que les flaques d'eau sont plus petites ou plus rares dans la dernière version. Un pseudo-scandale qui force le studio à réagir sur Twitter : "C'est une modification de la taille de la flaque d'eau, pas un downgrade".
Le seul moyen de clôturer le débat était de tester la bête. Sans surprise, la controverse s'est apaisée après la sortie, non seulement parce que la qualité du gameplay a a été louée par les observateurs mais surtout parce que le studio a tenu ses promesses en termes de rendu.
La sortie de Spider-Man résume parfaitement le déroulement de l'année 2018 pour les jeux "triple-A", avec une première phase où les joueurs émettent des doutes avant de se raviser. Car oui, les développeurs ont tenu leurs engagements.
Sony a complètement transformé la licence God of War en ajoutant une dimension RPG beaucoup plus large qu'auparavant, malgré les réticences de la communauté. Pourtant, après la sortie du jeu, les fans ont salué l'initiative et considéré le produit fini comme l'un des meilleurs titres de l'année. Red Dead Redemption 2, quant à lui, a été accueilli avec inquiétude par les joueurs qui ont cru - à tort - que le campagne solo pouvait être laissé de côté au profit du mode multijoueur suite au succès GTA Online et de son (lucratif) système de microtransaction.
Au lieu de ça, Rockstar a créé l'une des campagnes solo les plus mémorables de ces dernières années, fascinant les joueurs pendant plus de 70 heures.
Comment les éditeurs ont-il réussi à placer la barre si haute ? Une question de timing, sans doute. La PS4 et la Xbox One entament leur dernier cycle de vie et les développeurs connaissent leurs limites. À ce stade, inutile de développer un jeu qui tient la route sur PS3 et PS4.
Autre hypothèse : les mastodontes de l'industrie anticipent un retour massif sur investissement. Les studios de jeux vidéo utilisent la même stratégie qu'Hollywood avec les adaptations des comics Marvel et DC. Des franchises si connues et populaires que les producteurs n'hésitent pas à lâcher des millions pour les concevoir, sachant pertinemment qu'ils vont en amasser beaucoup plus. Il en va de même pour les producteurs de jeux vidéo. Aucune personne normalement constituée ne mettrait autant d'argent en jeu sur Red Dead Redemption 2 ou Call of Duty: Black Ops 4 sans avoir l'assurance de faire des bénéfices.
Enfin, les studios n'auraient jamais pu concevoir de tels jeux sans le travail acharné de leurs salariés. Ce niveau de détail et de réalisme semble impossible à atteindre pour un petit studio, indépendant ou non. Pas de solution miracle pour combattre cette disparité ; pour imaginer un monde ouvert aussi massif, il faut de la main d'oeuvre et de l'argent.
En 2018, l'industrie du jeu a dû faire face au coût éthique de la création des jeux AAA. Comment des milliers de travailleurs sont-ils indemnisés ? Quelles sont les pressions liées à la "culture du crunch" ? Et dans quelle mesure, en tant que joueurs, nous préoccupons-nous et défendons-nous les intérêts des personnes qui testent et conçoivent ces jeux ? À quoi ressemblent les cycles de développement lorsqu'ils sont plus réglementés et cohérents ? Et que se passe-t-il quand la bulle éclate ? Quand un studio risque son retour sur investissement ?
Ce sont des questions difficiles, mais qui continueront à définir et faire évoluer l'industrie vidéoludique. 2019 sera-t-elle l'année de la résurrection des studios indépendants ? Peut-être. Mais ne vous y trompez pas : les projets à plusieurs millions de dollars continueront d'exister. La question est de savoir si nous pouvons et devons continuer dans la même direction. Si oui, y a-t-il des compromis à faire ? Existe-t-il un business model alternatif ? Vous avez 4h.