Un "2", un "2"
“Une remarque avant de commencer : cet article contient des *spoilers* sur la structure générale du jeu, mais ne révèle rien de ses secrets les plus profonds”
Comme Super Meat Boy et SUPERHOT, Spelunky a commencé sa vie de jeu indépendant sous une forme plus modeste. En 2008, Derek Yu publie une version minimaliste de Spelunky sur PC. Le gameplay y est suffisamment ingénieux et addictif pour attirer l'attention d'un certain Jonathan Blow, alors déjà célèbre pour avoir créé Braid. Un documentaire de la chaîne YouTube Noclip nous apprend que Blow a encouragé Yu à sortir son jeu sur consoles : ce projet deviendra la fameuse version 2012 de Spelunky, désignée par les connaisseurs comme "Spelunky HD". C'est cette mouture que plusieurs millions de joueurs ont acheté, ont joué... et n'ont pas terminé, pour la plupart.
Découvrez le documentaire « The Making of Spelunky » (© Noclip Media) :
Une partie victorieuse de Spelunky dure entre vingt et trente minutes environ. Le joueur commence dans les mines du monde 1, composé de 4 niveaux, dont le point de départ est toujours située au sommet, et l’arrivée toujours placée tout en bas. Le personnage joué est équipé de quatre points de vie, quatre bombes (utiles pour se frayer un passage dans une portion de niveau obstruée), et quatre cordes (idéales pour grimper sans plateforme alentours). Il peut ramasser des trésors, qui lui serviront à acheter de nouvelles bombes, cordes, et d'autres objets utiles (une boussole pointant vers la porte de sortie, une main magique permettant de s'agripper aux murs, etc.), et sauver un PNJ qui lui offre un point de vie supplémentaire si ce dernier arrive sain et sauf à la fin du niveau. Après le premier monde, trois autres l'attendent, pour un total de seize niveaux.
Spelunky est d’une simplicité désarmante. L'ennui, c'est que ses niveaux sont armés jusqu'aux dents : des statues vous tirent des flèches dans le buffet et emportent la moitié de vos quatre points de vie en un instant. Des araignées bondissent sur vous de manière erratique. Le dieu Anubis surgit de son trône pour vous maraver avec sa vision laser. Bref, lancer une partie de Spelunky, c'est surtout plonger dans les profondeurs d'un temple sans merci où la disposition des éléments change à chaque fois que vous mourrez.
Sur sa version PS4/PSVita, 7 années après sa sortie, seulement 3,2% des joueuses et joueurs qui ont acheté le premier Spelunky l'ont terminé. Comparé à sa suite Spelunky 2, c'est plus du double. À titre de comparaison, et sur la même console, 26,4% des possesseurs de Ratchet & Clank l'ont terminé, soit près de neuf fois plus que le premier Spelunky.
Comment diable faire une suite à un jeu que seuls 3,2% de ses joueurs ont su terminer ? La logique commande de rééquilibrer la difficulté afin de permettre à un plus grand nombre d'arriver jusqu'à la fin de cet hypothétique Spelunky 2. Une idée qui n’a pas échappé à Brace Yourself Games, le studio à qui l’on doit Crypt of the Necrodancer, et son spin-off Cadence of Hyrule. Dans Cadence of Hyrule, les défis imposés sont plus simples d’approche, la punition infligée en cas de mort est moins drastique, et les outils à disposition du joueur sont plus nombreux.
En réalisant les suites des jeux qui les ont rendus célèbres, les développeurs indépendants qui ont fait Braid, Super Meat Boy, World of Goo ont pris la tangente et décidé de changer drastiquement de gameplay : c'est comme ça que nous avons eu The Witness (qui est toujours un puzzle game, mais en 3D), Super Meat Boy Forever (qui sera toujours un jeu de plateforme, mais cette fois runner), ou encore Human Resource Machine (qui est toujours un jeu de logique, mais avec du code).
Derek Yu et son équipe n'ont opté pour aucune de ces deux approches. Spelunky 2 est tout simplement plus long, plus exigeant, certes un peu moins lisible, mais toujours aussi fun.
The Very Lost Levels
Spelunky 2 s’ouvre sur un dédale de pièges d’une difficulté semblable aux mondes 2 et 3 du premier jeu. La taupe, nouvel ennemi parcourant les galeries du monde 1 à toute vitesse, fait office de comité d’accueil. Et tout va en s’empirant : le premier monde se termine sur un combat contre un mini-boss tellement puissant que le moindre contact avec sa roulade vous emmènera dans l’au-delà. Oui, ce premier monde est injuste, peu importent les réflexes du joueur. Il a la qualité de donner le ton, quitte à faire office de bizutage.
Un constat immédiat se fait dans la tête du joueur pourtant chevronné : Spelunky 2 est nettement plus difficile que le premier jeu. Comme avec la suite d’un film ou d’un livre, jouer au premier Spelunky est un vrai plus pour comprendre ce qu’il se passe, c’en est presque un passage obligé. Certes, Spelunky 2 propose un tutoriel, mais celui-ci ne vous prépare pas à devoir gérer les variations perverses d’ennemis et de pièges que le premier monde de cet épisode contient. Spelunky 2 n’adapte pas Spelunky pour le public de 2020 : il s’adresse avant tout à celui de 2012 qui est parvenu à terminer Spelunky, et lui propose un nouveau défi. Ca n’est pas sans rappeler le Super Mario Bros. 2 japonais, jugé trop difficile par Nintendo of America, et arrivé en occident bien des années plus tard affublé des sous-titres de « The Lost Levels » (les niveaux perdus) ou « For Super Players » (pour les super joueurs).
À la fin de son premier monde, Spelunky 2 s’ouvre en créant à nouveau la surprise : deux portes de fin de niveaux, donc deux mondes 2 s’offrent au joueur. D’un côté, une jungle luxuriante aux pièges calfeutrés dans son vert décor, et de l’autre, un temple volcanique où l’usage de la moindre bombe fait courir le risque de répandre de la lave (immédiatement létale, bien entendu) partout. Même constat après avoir battu le monde 2 : le monde 3 est à la carte, entre deux nouveaux environnements. Il y a une ruine engloutie, demandant une plus grande patience à celui qui l’explore, ainsi qu’un tombeau égyptien tout ce qu’il y a de plus maudit. Les chausse-trappes du tombeau provoquent un nombre infini de fou-rires, tellement les morts causées y sont soudaines et improbables.
Les plus chanceux et réactifs arriveront au monde 4. Sans gâcher toutes les surprises qui pavent le reste du jeu, un élément de taille se fait clair après mes 300 premières explorations (et donc, morts) dans les profondeurs labyrinthiques de Spelunky 2 : ce monde 4 n’est pas le dernier. Non content de rendre le jeu plus difficile, de proposer plusieurs mondes 2 et 3 alternatifs et de grossir le bestiaire et les types de pièges pavant ses niveaux, Derek Yu et Mossmouth poussent le vice jusqu’à demander aux joueurs de survivre au delà du quota de quatre mondes et seize niveaux.
Le long détour des raccourcis
D’autant que les créateurs de Spelunky sont également allé pervertir une mécanique qui rendait le premier jeu plus facile : les raccourcis. À la fin de chaque monde, un PNJ vous annonce travailler à la création d’un chemin de traverse vous permettant de recommencer l’aventure en cours de route, plutôt qu’au premier niveau du premier monde. Le défi change : pour terminer le jeu, il n’y a pas besoin de se frotter à autant de niveaux d’une traite... même si cette nouvelle aventure, désormais divisée en séquences, devra se faire avec l’inventaire remis à zéro, plutôt qu’avec les poches fourbies des richesses et objets glanés dans les premiers niveaux. Tenter de terminer le dernier monde armé de seulement 4 points de vie, 4 bombes et 4 cordes n’est pas une mince affaire.
Le PNJ excavateur a besoin de l’aide du joueur pour parvenir à ses fins : il demande tantôt de l’argent ou des objets — des ressources qu’il est parfois nécessaire d’aller chercher dans le premier monde. Pour les joueurs qui privilégient les raccourcis, Spelunky n’est plus du tout le même jeu. Certes, arriver à la fin du dernier monde reste l’objectif suprême, mais désormais, les objectifs intermédiaires nécessaires à l’obtention de raccourcis deviennent autant d’aventures plus modestes, de contraintes à satisfaire en faisant travailler ses réflexes et sa créativité de joueur.
Par exemple, lorsqu’il est nécessaire de ramener 10’000$ à l’entrée du second monde pour obtenir faire progresser l’obtention du raccourci correspondant, cela revient à demander au joueur d’amasser 10’000$ dans le premier monde... sans mourir en chemin ! Cette suite de défis atteint son paroxysme pour le dernier d’entre eux. Afin de débloquer le raccourci menant directement au dernier monde, l’homme des tunnels demande au héros de lui ramener une clé qu’il ne peut trouver... qu’au premier monde. Au joueur de trouver cette clé au début du jeu, puis de la tenir jusqu’à la fin du troisième monde, là encore, sans mourir !
À cette mécanique de raccourcis, Spelunky 2 fait ce qu’il sait faire de mieux : rendre la vie difficile du joueur qui pensait avoir trouvé un moyen de rendre Spelunky plus facile à terminer. Obtenir le dernier raccourci de Spelunky 2 consiste notamment à escorter un ouvrier — un personnage allié contrôlé par l’ordinateur et ayant tendance à mourir assez facilement — jusqu’à la frontière du quatrième monde, sachant que les chances d’en rencontrer dans n’importe laquelle des moutures du troisième monde sont très proches de 0. Cerise sur le gâteau, ce dernier raccourci ne vous escortera même pas jusqu’au début du monde final.
Choose Your Own Misadventure
Comme indiqué plus haut, Spelunky 2 laisse au joueur le choix entre deux mondes 2 et deux mondes 3. Au delà des différences d’ordre esthétiques — la bande son et le décor reflétant le thème donné à chacun des mondes — les pièges et ennemis diffèrent grandement.
La version jungle du monde 2 est peuplée de moustiques géants poursuivant le joueur à l’horizontale, et d’ennemis lanceurs de boomerang qu’il faut voir venir de loin. Certaines surfaces sont recouvertes de ronces, qui amputent le personnage d’un point de vie au moindre contact, sauf si ce dernier porte des chaussures à crampons. Cela a pour résultat de dicter au joueur une approche plus lente et plus réfléchie. Il faut se faire prédateur, prêt à bondir des hautes herbes quand l’ennemi tourne le dos, et toujours être en mesure de se retrancher dans une cachette verticale pour éviter insectes et projectiles et tous genres. Foncer à tête baissée ne servira à rien.
Dans la version temple volcanique du monde 2, tout va plus vite. Des robots cubiques explosent quelques secondes après que le bouton de leur tête soit pressé ; intentionnellement ou par hasard. Il peut en résulter un nouveau passage plus pratique que le chemin imposé par la génération aléatoire du niveau, mais ça, c’est uniquement dans le meilleur des cas. Le reste du temps, les conséquences de l’explosion sont chaotiques : de la lave se répand au mauvais endroit, une corde accrochée quelques secondes plus tôt prend feu à cause de ce liquide brûlant et disparaît. La composition des niveaux volcaniques encourage à la précipitation et à l’improvisation de tous les instants : certes, le chemin est dangereux, mais si un caillou tombe par hasard sur la tête d’un robot-bombe, ça pourrait être bien pire. Pour survivre, il faut faire vite.
C’est ainsi que chaque joueur, en fonction de ses habitudes de jeu, préférera naturellement un type de monde plutôt qu’un autre. En ce qui me concerne, et pour prendre un autre exemple, quand bien même j’ai tendance à réussir plus souvent à triompher de la mouture « vestiges sous-marins » du monde 3, l’environnement du tombeau égyptien m’apparaît comme beaucoup plus grisant. Ce n’est pas parce qu’un monde est moins meurtrier qu’il en devient plus *fun* : c’est là le véritable tour de force de ce monstrueux jeu.
Comme une borne d’arcade
Cette constatation fait tout le sel d’un jeu comme Spelunky 2 : ce n’est pas parce qu’un jeu est horriblement difficile qu’il est frustrant ou qu’il est mauvais, bien au contraire ! Au delà des mécaniques générales du jeu, chaque environnement s’apprend. Chaque mort permet d’en savoir plus sur le comportement d’un ennemi, sur les usages des objets, et sur les meilleures manières de tirer les pièges environnementaux à son avantage.
Certes, Spelunky 2 est un roguelike, et la difficulté est un des traits récurrents de ce type de jeux. Cependant, il ne s’agit pas d’une caractéristique obligatoire au genre : la difficulté fait qu’un roguelike dure longtemps, mais ne fait pas obligatoirement d’un jeu donné un roguelike. Le roguelike se définit avant tout par la génération aléatoire de ses niveaux et par la remise à zéro de l’inventaire du personnage contrôlé.
L'histoire d’Ana (© Mossmouth LLC) :
L’exemple de Cadence of Hyrule est parlant : ce jeu d’exploration en rythme est beaucoup plus facile que Spelunky et Rogue Legacy, mais aussi que... Crypt of the Necrodancer, qui est pourtant le prédécesseur direct de Cadence of Hyrule ! Dans le genre des jeux de plates-formes presque impossibles à terminer, le monstrueux The End is Nigh est d’une difficulté dantesque, sans pour autant être un roguelike : chaque niveau est le même pour tout le monde.
De fait, Spelunky 2 fonctionne comme la borne d’arcade que vous avez peut-être connue près de chez vous ou en vacances, il y a bien des années : l’espoir de terminer le jeu en une traite est illusoire, tant le jeu a été calibré pour assurer votre mort plutôt que votre victoire. Ceci dit, chaque partie laisse entrevoir la possibilité d’une réussite. Mourir souvent et trop vite rend chaque partie intense, et demande toute l’attention du joueur. On ne joue pas à Spelunky 2 en pensant à autre chose.
Ce fun grisant, unique aux jeux Spelunky, se partage désormais facilement, puisque Mossmouth a développé un mode multi en ligne intégré à Spelunky 2. Certes, les aventuriers sont deux fois plus efficaces (quand ils jouent bien), mais peuvent aussi se mettre les bâtons dans les roues de manière deux fois plus consternantes (quand ils font n’importe quoi). Et quand ils meurent de manière ridicule, joueuses et joueurs rient deux fois plus fort. À sa manière, Spelunky 2 fait revivre la sensation de passer à la borne d’arcade avec ses meilleurs amis.
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