Colin O’Brady et son équipage
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Exploration

Comment Colin O’Brady a traversé le passage de Drake

1 000 km en 12 jours dans des vagues de six mètres de haut. Colin O’Brady et cinq autres rameurs ont réussi l’exploit de traverser le passage de Drake à la rame. L’explorateur américain raconte.
Écrit par Howard Calvert
Temps de lecture estimé : 9 minutesPublished on
Si vous êtes Colin O’Brady, vous vous projetez déjà dans votre prochaine aventure sur l’océan le plus dangereux au monde. Le passage de Drake s’étend de la pointe sud de l'Amérique du Sud jusqu’à l'Antarctique. C’est le point de rencontre de trois océans (Pacifique, Atlantique et Austral). Aucune terre ne ralentit les courants dans le passage de Drake, ce qui entraîne des conditions souvent imprévisibles, des vagues de 15 mètres et de puissants tourbillons. C’est aussi là que se forment des tempêtes infernales et que les températures chutent au maximum. Sans oublier, bien sûr, les icebergs et les baleines à bosse, qu'on croise fréquemment dans le coin.
Si le lieu ne vous inspire rien, c’est tout le contraire pour Colin O’Brady, motivé à l’idée de le traverser à la rame. Il a ainsi réuni une équipe de six rameurs dont Fiann Paul, un spécialiste de la discipline. Cameron Bellamy, Andrew Towne, Jamie Douglas-Hamilton et John Petersen étaient aussi de la partie. et se sont entraînés pour cette aventure, baptisée "Impossible Row".
Colin O'Brady et l'équipage célèbrent leur exploit

Colin O'Brady et l'équipage célèbrent leur exploit

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Une fois en mer, l’équipage s’est divisé en deux équipes de trois. Les premiers naviguaient pendant 90 minutes puis laissaient la place aux autres. Ils progressaient ainsi sans interruption, ramant 24 heures sur 24. Ils ont finalement atteint leur but le 25 décembre 2019, après 12 jours et 1046 km parcourus en mer. Plusieurs records sont tombés ce jour-là, dont celui du premier passage de Drake à la rame.

Un cauchemar logistique

Préparer cette expédition a été particulièrement difficile pour l’équipage. "Il y avait beaucoup de paperasse à faire notamment à cause du Traité sur l'Antarctique" explique O’Brady. "Mais c'est normal car c’est une zone extrêmement bien protégée. C’est juste que vous ne pouvez pas simplement prendre votre bateau et aller y naviguer. Concernant notre embarcation, nous avons conçu au Royaume-Uni un bateau spécifique pour cette aventure. Nous avons dû trouver comment le faire passer par le canal de Panama. Là-encore, on a dû faire face à des problèmes administratifs et financiers."
Mon entraîneur me demandait de faire des LEGO et des nœuds de cravate après avoir mis mes pieds et mes mains dans des seaux remplis de glace. Il me versait également de l’eau glacée dessus pendant que j’étais sur le rameur à 3 heures du matin.
Colin O'Brady

O’Brady, un débutant dans la discipline

La plupart des gens qui se lancent dans un nouveau sport y vont doucement. Ce n’est pas vraiment le cas de Collin O’Brady. "Je pense que tout se passe dans la tête. Je voulais savoir si mon abnégation mentale pouvait s’appliquer à une nouvelle discipline dans un laps de temps restreint.
À quatre mois du départ, O’Brady n’avait encore jamais posé le pied à bord d’un canot à rames. "J'ai commencé à ramer dans une chaloupe pour une personne sur une rivière à Portland. Je me suis retourné plusieurs fois. Je partais vraiment de zéro. Ça a été une expérience humiliante. On imagine souvent être incapable de faire certaines choses alors qu’on n’a même pas essayé. Mais avec de la volonté, on peut y arriver."

Une formation non académique

O’Brady s’est entraîné avec Mike McCastle, qui l’avait également coaché sur "l’Impossible First", sa traversée en solitaire de l’Antarctique. "C'est un dur à cuire. Il détient un record de 5 800 tractions en 24 heures" explique O’Brady. "Il est compétent et très créatif dans ses exercices. Il me demandait de faire des LEGO et des nœuds de cravate après avoir mis mes pieds et mes mains dans des seaux remplis de glace. Il me versait également de l’eau glacée dessus pendant que j’étais sur le rameur à 3 heures du matin. Ça peut sembler un peu fou mais c’était probablement la meilleure manière de reproduire une tempête en pleine nuit dans l’océan quand vous progressez avec une houle de 12 mètres autour de vous. En réalité, c’est difficile de se préparer totalement à ce genre de situation, mais Mike m’a conditionné au mieux pour affronter les conditions terribles du passage de Drake.

Un équipage forcé de bien s’entendre

Avec six rameurs de quatre pays différents à bord, dont la plupart ne s'étaient jamais rencontrés, les choses n'ont pas été faciles pendant les premiers entraînements. "Ce n’est qu’en août que l’on s’est tous retrouvés ensemble pour la première fois. C’est à partir de là qu’on a commencé nos tests en Écosse" explique O’Brady. "Nous avons ramé pendant quelques jours, ce qui nous a permis d’apprendre à nous connaître. On a rapidement brisé la glace et nous avons eu des discussions franches entre équipiers."
"Il était important que toutes les choses soient dites. Que les relations soient authentiques afin que cette confiance nous serve quand nous serions au milieu du passage de Drake dans des conditions difficiles. Ça nous a permis de nous souder en tant qu’équipe et d’être plus performants dans le bateau."
"On devait simplement continuer à ramer dans des vagues de 6 mètres. Si on quittait notre axe de navigation, on pouvait chavirer. On ne pensait qu’au prochain coup de rame en essayant simplement de surmonter la tempête."
Colin O'Brady

Un mal de mer inévitable

Colin n’a jamais eu le pied marin. "La cabine dans laquelle je dormais était remplie de multiples équipements de navigation. Si je me sentais bien quand je ramais, j’étais à peine capable de m’allonger quand j’étais à l’intérieur. J’étais secoué par la houle, et le simple fait de jeter un coup d’œil aux écrans de contrôle suffisait à me rendre malade. Le deuxième jour, j’ai vomi sur le pont. Au moins, je ne l’avais pas fait à l’intérieur. D'ailleurs, tout le monde a été malade le deuxième jour car ça bougeait beaucoup dans le bateau. Mais on a tous fini par s’adapter aux conditions."

Il n’était pas préparé pour les tempêtes

La première fois que le temps s’est gâté, j’ai vu ces vagues de 3 mètres de haut, puis d’autres de 6 mètres. Je me disais, "là maintenant, c’est du sérieux." On a d’ailleurs des images de notre bateau qui disparaît complètement derrière des vagues. Ça vous donne une bonne idée de l’intensité de la houle à ce moment-là. De toute façon, il n’y pas grand-chose à faire quand ça arrive. John, qui n’avait jamais pris part à une telle expédition s’est mis à crier : "Ça va Collin ? Qu’est-ce qu’on doit faire ?" Je lui ai crié : "Je pense qu’on doit continuer à ramer !"
"On devait simplement continuer à ramer dans des vagues de 6 mètres. Si on quittait notre axe de navigation, on pouvait chavirer. On ne pensait qu’au prochain coup de rame en essayant simplement de surmonter la tempête."

Sa plus longue sieste a duré une heure

Trois personnes ramaient constamment pour empêcher le bateau de chavirer. Ce travail d’équipe, alterné toutes les 90 minutes a entraîné des habitudes de sommeil inhabituelles." Ce n'était pas des conditions idéales, c’est certain. On n’avait pas vraiment le temps ni l’espace pour se changer et mettre des vêtements secs. Donc on avait toujours froid et on restait mouillés tout le temps dans nos bottes et dans nos vestes. Je n’arrivais pas vraiment à dormir, tout au mieux une heure. En moyenne, je faisais des siestes de 30 minutes. J’ai été privé de sommeil jusqu’à la fin. Ça modifie forcément l’humeur."
Dans la péninsule Antarctique, la vie est apparue. Il y avait des pingouins qui sautaient des icebergs à quelques mètres du bateau, des baleines à bosse qui sont passées à moins de trois mètres du bateau.
Colin O'Brady

Les baleines à bosse étaient toutes proches

Il a fallu 12 jours à l'équipage pour terminer ce défi

Il a fallu 12 jours à l'équipage pour terminer ce défi

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Le passage de Drake est réputé pour les nombreux animaux qui y vivent. O'Brady s’en souvient avec émerveillement : "Au milieu de la mer, il y avait des orques et des albatros et à mesure que nous nous rapprochions de la péninsule Antarctique, la vie est apparue. Il y avait des pingouins qui sautaient des icebergs à quelques mètres du bateau, des baleines à bosse qui sont passées à moins de trois mètres du bateau. J’ai même pensé à un moment que l’embarcation était en danger à cause de la queue de cette baleine qui aurait pu nous renverser. À côté d’un tel animal, vous vous sentez tout petit. Vous êtes en admiration devant la nature."

Des effets inattendus au retour sur la terre ferme

"Une fois notre traversée terminée, nous avons sauté sur le rivage et nous sommes tous tombés immédiatement. On avait tout simplement le mal de terre car nos corps s’étaient habitués à la mer agitée. Il y a une vidéo où l’on ressemble à six mecs ivres qui essayent de fêter quelque chose ensemble. Une fois à l’hôtel dans mon lit en Amérique du Sud, j’avais toujours l’impression que tout bougeait autour de moi. J’ai mis quelques jours à retrouver pleinement mon équilibre."
Je pense que tout se passe dans la tête. Je voulais si mon abnégation mentale pouvait s’appliquer à une nouvelle discipline dans un laps de temps restreint.
Colin O'Brady

Prochaine aventure en vue

Bien qu’il ne veuille pas se projeter trop loin, O'Brady avoue tout de même qu’il gravira à nouveau l’Everest au Printemps. "Mais avec ma femme Jenna cette fois", précise-t-il. "Elle m'a énormément soutenu dans mes différents projets et dans la réalisation de mes rêves. Cette fois, ce sera amusant de la voir aller au bout de son propre objectif. On empruntera le versant nord depuis le Tibet. La dernière fois que je suis allé sur l’Everest, je l’avais fait depuis le versant sud, donc ce sera intéressant de changer. Je trouverai bien ensuite d’autres projets "impossibles" à réaliser.

Inspirer les autres

"Être invité chez Jimmy Fallon a été une expérience enrichissante. Ça rend humble. J’ai aussi voulu écrire "The Impossible First" (non traduit en français ndlr), un livre dans lequel je dévoile également mon parcours personnel avec ma femme Jen. On est passés par des hauts et des bas et j’en parle dans cet ouvrage. J’espère que ça pourra en inspirer certains.
"Quand j’étais gamin, c’est le 100m papillon de Pablo Morales aux Jeux Olympiques de 1992 qui m’a inspiré. J’avais 7 ans et ça a probablement contribué à me faire devenir ce que je suis aujourd’hui. J’espère que mon histoire aura un impact similaire. Que quelqu’un lise mon livre et se dise : "Je vais moi aussi me lancer dans ce projet que j’ai en tête depuis longtemps". Qu'il s'agisse d'un 5 km ou de monter sa propre entreprise. Mon espoir, c’est ce que ça puisse inciter certaines personnes à prendre les bonnes décisions dans leur vie."