Gaming
De tout temps, depuis les balbutiements de pixels sur des tubes cathodiques, le cyberpunk a occupé une place de choix dans le cœur des fans de jeu vidéo. Et ce, pour une excellente raison : l'idée qui charpente le genre est celle d'un être supérieur, au corps augmenté par des artifices technologiques de pointe. Qui ne rêverait pas de pouvoir incarner un tel avatar surpuissant ? Pour les « gamers » du monde entier, le transhumanisme qui s'exprime dans le cyberpunk a toujours eu un attrait particulier.
En 1983, un auteur américain méconnu du nom de Bruce Bethke publie dans l'illustre magazine Amazing Stories sa toute première nouvelle. Intitulée Cyberpunk!, elle nous narre l'histoire d'un groupe d'adolescents rebelles utilisant des petits ordinateurs personnels (baptisés « smartterms ») pour commettre mille et un méfaits. C'est la première fois que le terme « cyberpunk » est utilisé et, sans le savoir, Bethke vient de baptiser un futur sous-genre de la littérature de science-fiction.
Celui qui va réellement lui donner sa substance et en définir les traits, c'est un autre auteur américain, du nom de Williams Gibson, dans son roman Neuromancer publié en 1984. Considéré unanimement comme la pierre fondatrice du genre, l'ouvrage nous narre les aventures de Case, un hacker cambrioleur, évoluant dans un monde psychédélique où les drogues sont les friandises de choix. Le crime empoisonne des villes désormais surpeuplées, et la planète est sous l'emprise de corporations multinationales, nouveaux gouvernements modernes. En se connectant au « cyberspace », une sorte d'univers parallèle et d'hallucination collective, Case va s'embarquer dans une ultime mission, où il devra terrasser à la fois son addiction et une intelligence artificielle toute puissante.
Gibson, le pionnier
Dans Neuromancer, bible incontestée du cyberpunk, on retrouve tous les attributs qui vont caractériser le genre : métropoles tentaculaires et oppressantes, omniprésence de la technologie, implants qui confèrent aux humains de nouvelles compétences, ainsi que l'existence d'un large réseau numérique virtuel, double du monde extérieur. Dans ce monde futuriste sombre et sinistre, la vie humaine semble avoir perdu toute valeur, mais l'univers dépeint n'en est pas pour autant moins séduisant. Allez comprendre !
Si Gibson peut sans conteste être considéré comme le père du courant cyberpunk, il serait sans doute malhonnête d’omettre sa principale source d’inspiration : le roman Do Androids Dream of Electric Sheep? publié en 1968 par un autre grand monsieur de la littérature de science-fiction, Philip K. Dick. Dans son ouvrage, Dick pose la cruciale question de l’identité dans un monde déshumanisé : qu’est-ce que cela signifie d’être humain ? Le cyberpunk va réutiliser ce questionnement essentiel en y ajoutant l’idée d’augmentations et de prothèses qui permettent d’améliorer son corps, parfois avec le risque d’y perdre son humanité.
Si on s’en tient à la proposition de Bethke, le terme cyberpunk repose initialement sur une définition très littérale : ce sont des punks, des rebelles, qui utilisent des outils technologiques, du « cyber », pour parvenir à leurs fins. Gibson, et les auteurs qui lui succèderont, vont y ajouter des thématiques plus larges : super-intelligence et transhumanisme, d’où découlent des thèmes secondaires comme celui de mondes dystopiques en dégénérescence, où l’évolution technologique est souvent associée à une dégradation de la condition humaine et de sa culture. Ce qui ne veut pas dire que les notions de super-intelligence et de transhumanisme seront forcément des éléments qui vont conduire à la chute de l’humanité. Mais ce sont des éléments narratifs essentiels dans la littérature cyberpunk.
Du côté occidental, la mouvance cyberpunk trouve sans conteste ses origines dans le contexte géopolitique de l’époque : crise économique aux États-Unis, explosion des importations japonaises sur le marché occidental, et de manière générale, prédominance de l'Est sur l'Ouest. D'où la présence régulière d'éléments japonisants dans le cyberpunk occidental (on pense notamment aux panneaux publicitaires dans Blade Runner) qui traduisent une forme de défiance et de peur à l’égard de l’hégémonie orientale. Les choses sont un peu différentes du côté japonais : si l’on retrouve dans des œuvres comme Akira ou Ghost in the Shell des éléments de la tradition occidentale du cyberpunk, son interprétation diverge néanmoins de la nôtre en plusieurs points. Le genre est souvent émaillé de métamorphoses monstrueuses et incompréhensibles, se déroule dans un décor industriel, et repose sur une narration généralement plus expérimentale (on pense notamment au film Tetsuo de Shinya Tsukamoto, sorti en 1989). En outre, si le cyberpunk occidental trouve sa source dans le mouvement « new wave » des années 60, du côté japonais, il émane plutôt de la scène musicale punk locale des années 70. Si vous souhaitez creuser les différences entre cyberpunk occidental et oriental, et que vous lisez l’anglais, je vous invite à consulter l’excellent papier du site Floating into Bliss sur le sujet : Why Japanese Cyberpunk is Different?.
Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?
On l’a vu, le roman Neuromancer de William Gibson revêt une importance capitale dans la genèse du cyberpunk. C’est sans conteste l’ouvrage qui va jeter les bases de ce nouveau courant, et qui va l'amener à proliférer par la suite. Mais s’il y a bien une œuvre qui va populariser le genre auprès du grand public, c’est sans aucun doute le Blade Runner de Ridley Scott, adaptation du roman de Philip K. Dick dont on parlait plus haut, et sorti dans les salles obscures en 1982. Quand on pense au film, on imagine instantanément des villes surpeuplées et lugubres, de grands panneaux publicitaires témoignant de l'emprise des mégacorporations, et des protagonistes perdus dans une atmosphère poisseuse et animés d'une moralité douteuse. On pourrait également citer The Matrix des Wachowskis, sorti en 1999, dernière incursion du cyberpunk au cinéma, avant une baisse d’intérêt pour le genre au début des années 2000. Un passage à vide qui va durer quelques années, avant une tentative de renaissance à laquelle on assiste depuis peu (via par exemple le Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, sorti en 2017).
Dans le jeu vidéo, le cyberpunk a été exploré à maintes reprises depuis les années 80, parfois avec un grand respect des codes du genre (comme dans la franchise Deus Ex ou, on l’espère, dans le futur Cyberpunk 2077), mais aussi, souvent, sans réussir à implémenter avec fidélité les éléments plus sérieux et plus profonds véhiculés par le courant, côté littérature et cinéma.
Officiellement, l’incursion du cyberpunk dans nos loisirs vidéoludiques débute en 1985, d’abord exclusivement du côté japonais. Le RPG The Screamer est considéré par beaucoup comme le premier jeu vidéo à s’être aventuré dans l’univers cyberpunk. Sorte de « survival horror » développé par Magical Zoo et édité par ASCII, le titre se déroule dans une mégalopole futuriste baptisée Beast City, alimentée par un vaste réseau virtuel, le B.I.A.S. (pour Biological Intelligence in Artificial System). Un réseau qui va connaître de soudaines perturbations, et amener le héros du titre à s’y aventurer. Mélange de « dungeon crawler » à la première personne et de phases en "scrolling" latéral pendant les combats, The Screamer va ouvrir la brèche et inciter d’autres éditeurs à tenter l’expérience cyberpunk. Deux ans plus tard, c’est au tour d’un autre jeu japonais d’aller faire un petit tour dans ce futur lugubre imaginé par Gibson : Imitation City (développé et édité par DataWest en 1987) est le premier jeu d’aventure cyberpunk à voir le jour. Un titre créé par Jiro Ishii, développeur de jeux, mais également producteur de télévision et d’anime, qui réalisera quelques années plus tard 428: Shibuya Scramble en 2008, et Time Travelers en 2012.
Coucou, c’est Kojima !
Quand on étudie l’histoire des jeux vidéo cyberpunk, on ne pense pas forcément tout de suite à la franchise Metal Gear. À l’origine, il s’agit avant tout de jeux d’infiltration intégrant des réflexions politiques, de la manipulation génétique, ou encore un contrôle de la société. Mais les jeux d’Hideo Kojima ont pourtant touché à des notions de cyberpunk, et notamment l'idée d'un monde contrôlé par une diffusion de l'information via des canaux numériques. On y retrouve également l’idée de corporations militaires toutes puissantes, ainsi qu’une exploration de la nature humaine, le tout dans une atmosphère générale dystopique sombre et funeste. Au fil des épisodes, la franchise finira par introduire d'autres éléments empruntés au cyberpunk, comme l’utilisation de nanotechnologies ou les améliorations cybernétiques, mais ces composantes ne constitueront jamais le cœur de la série. Néanmoins, il nous semblait important de la mentionner, ne fut-ce que pour ses nombreux emprunts au genre.
Dans la même veine, le Flashback de 1992, édité par les Français de Delphine Software (sous l’égide du vénérable Paul Cuisset), n’est pas à proprement parler un jeu vidéo cyberpunk. Mais il utilise certains éléments emblématiques du genre pour habiller son scénario. On pense par exemple aux avancées technologiques qui permettent aux humains de copier leur mémoire dans un « holocube », idée tirée en droite ligne d’un autre roman célèbre de Philip K. Dick, Total Recall. Idem pour la franchise Syndicate d’Electronic Arts, dont le premier épisode sort en 1993. Imaginé par le frétillant Peter Molyneux, ce jeu de stratégie en temps réel déroule sa trame dans un environnement clairement cyberpunk (un futur dystopique dans lequel les corporations ont remplacé les gouvernements, et où l’homme peut transcender ses limites par le biais de modifications cybernétiques). Mais le traitement superficiel d’éléments plus profonds associés habituellement au genre, et particulièrement tout ce qui touche à la nature humaine, le disqualifie d’un éventuel classement dans la catégorie « 100% cyberpunk ». En 1993, le RPG Bloodnet de MicroProse approchera d’un peu plus près les thématiques chères au genre, mais le titre, finalement plus que moyen, y mélangera aussi des inspirations gothiques assez éloignées (les vampires, en particulier).
Il faudra attendre la sortie de Shadowrun la même année, en 1993, pour voir enfin une approche plus traditionnelle et exhaustive de la mouvance cyberpunk dans un jeu vidéo. Et pour cause : ce RPG s’inspire du jeu de rôle papier du même nom sorti en 1988 par FASA, véritable jalon dans l’histoire du cyberpunk ludique. Considéré encore aujourd’hui comme l’un des meilleurs titres du genre, Shadowrun permettait notamment de naviguer dans un cyberespace, représentation numérique du monde réel, dans lequel on pouvait interagir et même se battre avec des programmes informatiques. Reposant sur une mécanique de « hacking » permettant de collecter de précieuses informations pour faire avancer l’histoire, le jeu souffrait malheureusement de nombreux défauts, dont une lenteur parfois rédhibitoire. Il demeure néanmoins l’un des jeux à avoir retranscrit avec une grande fidélité les principales thématiques du cyberpunk. Et à ce titre, il mérite sans conteste le coup d’œil.
Warren Spector, le pape du jeu vidéo cyberpunk
Autre incursion réussie dans le genre, en 1994, avec System Shock, un titre signé Warren Spector, monsieur ô combien important dans l’histoire du cyberpunk vidéoludique. Représentation réussie d’interactions avec un univers numérique dans un environnement cyberpunk, le titre nous faisait incarner un hacker tentant de déjouer les plans d’une IA maléfique, la redoutable SHODAN. À sa sortie, System Shock rencontrera un gros succès public et critique, pour sa représentation non seulement immersive (grâce à un « gameplay » en trois dimensions et d’excellentes mécaniques de jeu), mais également fidèle de ce futur sombre et oppressant tel que l’a popularisé le cyberpunk côté littérature. Sans oublier les incontournables augmentations technologiques dont étaient affublés les protagonistes de l’histoire. Mais le titre ne parvient pas pour autant à cocher toutes les cases du genre. Pour cela, il faudra encore patienter jusqu’en 2000, avec la sortie d’un monument du genre, le premier épisode d’une longue franchise populaire : Deus Ex.
Mais avant de parler de cet immanquable chef-d’œuvre, citons en vitesse d’autres tentatives d’adapter le cyberpunk en jeux vidéo. Des titres qui, comme souvent, se contenteront d’emprunts ici et là, sans jamais proposer de retranscription fidèle, mais qui méritent néanmoins d’être mentionnés : Cybermage: Darklight Awakening (un FPS de 1995 avec des éléments de RPG édité par Electronic Arts et produit lui aussi par Warren Spector), Osman (un jeu de plateformes sorti exclusivement dans les salles d’arcade en 1996), ou encore Einhänder (jeu de tir édité par Square en 1997). On pourrait se risquer à citer le Final Fantasy VII de Square, sorti en 1997, qui intègre lui aussi de menus éléments empruntés au cyberpunk. Comme on le voit, avant les années 2000, le jeu vidéo s’inspire ouvertement du genre pour intégrer des éléments narratifs, mais ceux-ci sont malheureusement trop souvent relégués en toile de fond.
Le premier véritable jeu qui épousera le plus fidèlement les notions définies par William Gibson, ce sera le Deus Ex d’Eidos Interactive, sorti en juin 2000 sur PC, macOS et PlayStation 2. Pièce majeure de la culture cyberpunk vidéoludique, le titre constitue sans doute la contribution la plus importante de Warren Spector au genre. D’une certaine manière successeur spirituel de System Shock, Deus Ex, pièce majeure de l’histoire du jeu vidéo, constitue la première représentation conforme du cyberpunk dans un titre interactif. RPG par essence, on pouvait y construire son avatar dans les moindres détails, en l’affublant notamment de nano-augmentations et autres mises à jour cybernétiques. En outre, le titre proposait une grande liberté d’interaction avec l’univers et les personnages, et développait des thématiques plus sérieuses, directement inspirées du courant littéraire cyberpunk, le tout dans un environnement typique du genre, à savoir un monde dystopique sombre et déprimant, où les corporations jouent un rôle pivot. La franchise connaîtra par la suite des hauts et des bas, et d’abord des bas avec le dispensable Deus Ex: Invisible War de 2004, suite en demi-teinte, sacrifiée sur l’autel des consoles de jeu, sortie en outre à une époque où le cyberpunk tombe quelque peu en désuétude (on en parlait plus haut : ce sera la traversée du désert post-The Matrix au cinéma). La saga retrouvera une place dans nos cœurs en 2011 avec Deus Ex: Human Revolution, puis confirmera son statut de grande franchise avec Deus Ex: Mankind Divided en 2016. À ce jour, c’est sans conteste la série de jeux la plus réussie dans sa transposition des codes du cyberpunk dans le monde vidéoludique.
Cyberpunk 2077, le nouveau Deus Ex ?
Parce qu’en dehors de Deus Ex, il faut bien admettre que c’est un peu la disette côté adaptations réussies. On pourrait certes citer Enter The Matrix (mauvais jeu d’action plutôt générique sorti en 2003 directement inspiré du film de 2000), ou encore des tentatives plus récentes, comme Mirror’s Edge (sorti en 2008), Watch Dogs (sorti en 2014) ou même >observer_ (sorti en 2017). Mais comme souvent, ces titres ne proposent que des parcelles du postulat cyberpunk, clins d’œil réduisant les préceptes du genre à de vagues références diluées ou superficielles.
Et du coup, les aficionados de futurs dystopiques et de transhumanisme se tournent désormais vers le futur Cyberpunk 2077, auquel CD Projekt met en ce moment les dernières touches, et qui suscite déjà d’énormes attentes et un engouement démesuré. Si le titre parvient à concrétiser son ambitieuse entreprise, il pourrait sans aucun doute devenir la nouvelle référence dans le domaine, le prochain grand jeu cyberpunk qui prendra enfin la relève de la franchise Deus Ex. De ce qu'on a pu découvrir jusqu'ici, par le biais de bandes-annonces et d’extraits de « gameplay », il y a en effet de fortes chances pour que Cyberpunk 2077 réussisse à dépeindre avec succès les grandes idées dessinées par William Gibson. Avec son monde dominé par les corporations et les criminels « high tech », sa course perpétuelle aux augmentations (qui fait penser à l’addiction aux drogues du protagoniste de Neuromancer), un monde en réalité virtuelle qui permet de s'échapper de la réalité, le titre a, sur le papier, toutes les cartes en main pour nous offrir une expérience cyberpunk inédite et emballante. Ajoutez à cela la présence au générique d’un certain Keanu Reeves, véritable icône du genre depuis Johnny Mnemonic et Matrix, et vous avez en théorie tous les ingrédients d’un cybercocktail réussi. Mais ça, on aura l’occasion d’en reparler à sa sortie…
Envie d’une virée à Night City ? Note donc que le 8 mars, la soirée Red Bull Immersion transformera la Machine du Moulin Rouge, à Paris, en véritable bar digne du jeu. L’occasion de croiser des cosplayers, réaliser des quêtes pour décrocher des récompenses et aussi voir des artistes de renom animer la soirée sur scène. Mais si tu veux participer à cette aventure déjà mythique, commence par faire tes preuves en hackant l’intranet de Red Bull Immersion ici-même. Bonne chance !
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