Le pilote de F1 Mark Webber sur le podium au Brésil avec le maître de cérémonie Alexandre Molina.
© Getty Images/Red Bull Content Pool
F1

On a rencontré l'homme qui est sur tous les podiums de F1 depuis 10 ans

Maître de cérémonie en charge du podium, Alexandre Molina dévoile une autre course, contre-la-montre, dans les coulisses des Grands Prix.
Écrit par Antoine Grenapin
Temps de lecture estimé : 6 minutesPublié le
Un sourire aux lèvres, un entrain retrouvé, un pouce levé vers les fans… Chaque dimanche après-midi, le rituel est immuable en F1. Une dernière séquence avec les hymnes nationaux (pour l’émotion), du champagne sabré (pour les « belles images »), quelques mots échangés avec la foule et la promesse de retrouvailles sur un autre circuit.
Le Français Alexandre Molina est maître de cérémonie du podium de la Formule 1 depuis dix ans.

Toujours au pied du podium

© Eric Vargiolu/DPPI

« Je ne suis pas obnubilé par la piste »

Ces moments de communion n’ont pourtant rien d’improvisé. Il faut offrir le meilleur des spectacles aux 405,5 millions de téléspectateurs uniques qu’a compté la Formule 1 l’an dernier. Pour éviter les couacs et faire face aux imprévus : Alexandre Molina, 44 ans. Ce Français, fine barbe et costume toujours de rigueur, est le maître de cérémonie de la F1 depuis 2009. Il est le seul homme à être de tous les podiums.
À cette fonction officielle, Alexandre est également directeur de l’événementiel. La fan-zone, la parade des pilotes, les courses support : c’est lui qui en est responsable. Un rôle stratégique et énergivore pour cet ex-étudiant en mathématiques. Pourtant, il n’avait pas fait de la F1 un rêve de gamin. « Même si je regardais parfois les Grands Prix avec mon père, j’étais davantage fan d’arts martiaux et de tennis, confie-t-il. Ça m’a aidé de ne pas être passionné : pendant les courses, je ne suis pas obnubilé pour savoir ce qui se passe sur la piste ».
Alexandre Molina, maître de cérémonie de la F1 est le seul homme à être de tous les podiums.

Le videur du podium

© Eric Vargiolu DPPI

Poutine et les sueurs froides

Car pendant que tous les regards sont focalisés sur la course, Alexandre Molina ne chôme pas. Il doit notamment composer avec les chefs d’États qui assistent aux Grands Prix. « Souvent, les services de sécurité viennent en repérage dans la semaine et on échange avant la course avec leur directeur de cabinet ». Le moindre changement de programme peut tout chambouler, comme en Russie en 2014. « Nous avons appris la venue de Vladimir Poutine à mi-course. Bernie Ecclestone, qui dirigeait alors la F1, voulait absolument qu’il vienne sur le podium ».
Tout s’accélère : il faut annoncer aux personnalités qui devaient remettre les coupes qu’elles doivent céder leur place et surtout gérer l’impressionnant dispositif de sécurité autour du président russe. À l’écran, l’agitation dans les coulisses ne sera aucunement palpable. Dans l’oreillette d’Alexandre non plus. « Je dois être toujours prêt à faire face aux imprévus », sourit-il. Même face à Bill Clinton, qui refuse de rester debout pendant les hymnes.

Adrénaline et champagne

Et puis il convient de s'accommoder avec l’humeur des pilotes. Il y a encore une vingtaine d’années, une simple table avec serviettes et rafraichissements permettaient aux trois premiers de s’hydrater et de se recoiffer avant le podium. L’occasion, aussi, de refaire la course à l’abri des regards. « Un jour, un directeur de chaîne télévisé a vu la scène et s’est dit : il faut absolument que l’on filme ça ! ». C’était le début des années 2000, la « période télé-réalité » dixit Molina. La F1 crée alors la « cool room » une pièce où les pilotes se détendent avant le podium. Et parfois, ça dérape. « En 2007, Massa (Ferrari) et Alonso (Mercedes) se sont fortement invectivés. Ron Dennis (le patron de McLaren) me demandait d’intervenir pour les séparer, se souvient Alexandre. À ce moment-là pour les pilotes, l’adrénaline n’est pas encore retombée ».
Le Français, lui, ne voit rien du Grand Prix. Il a une multitude de détails à régler, dont la préparation des bouteilles de champagne. « Je les débouche juste avant la fin de la course. En fonction de la température dehors, on s’adapte : un champagne froid est plus pratique à boire mais pour qu’il mousse, il faut qu’il soit plus chaud. » Les bouteilles agitées par les pilotes sont des Jéroboam (3 litres) en fibre de carbone. « Quand l’actuel fournisseur est arrivé en F1 il y a trois ans, il a offert des Mathusalem (6 litres). Sauf que les pilotes n’arrivaient même pas à les soulever en fin de course ! »

La fin des « grids girls »

Avant de sabrer le champagne, il y a les hymnes nationaux. Et là aussi, il faut éviter les fausses notes. Au GP de Chine en 2009, Red Bull Racing célèbre sa première victoire, une aubaine pour la marque autrichienne. Sauf que c’est l’hymne anglais qui retentit. « Red Bull avait racheté une écurie anglaise, Jaguar, et était donc répertoriée comme britannique », justifie Alexandre Molina. L’erreur coûtera le départ de son prédécesseur. Désormais, la liste des pays représentés est minutieusement vérifiée en début de saison et c’est la régie télé qui lance les hymnes à chaque Grand Prix.
Jusqu’à la fin de la saison 2017, Alexandre Molina avait aussi en charge un autre dossier : les « grids girls ». « Pour chaque GP, nous travaillions avec des agences locales qui nous proposaient des filles, explique-t-il sobrement. Elles en sélectionnaient 52 et nous déterminions leur rôle pendant la course (devant chaque voiture, à l’avant de la grille et sur le podium) ». Mais en 2018, Liberty Media, le consortium à la tête de la F1, décide de se passer des « grids girls ». « Il est important de vivre avec son temps », abonde Alexandre.

« La référence, c’est le Superbowl »

Dans le sport 2.0, le temps justement est au « show » et les propriétaires américains de la F1 l’ont bien compris. À Austin (Etats-Unis), les pilotes sont par exemple présentés comme des boxeurs avant de monter sur le ring. « La référence, c’est le Superbowl, un spectacle à part entière ».
Chez Alexandre Molina, l’enthousiasme reste de mise : « ceux qui assistent à un Grand Prix pour la première fois me répètent souvent qu’ils n’ont jamais rien vu de semblable. Je me souviens d’Ashton Kutcher qui était complétement bluffé lors d’un départ. La F1, c’est peut-être la discipline où le ressenti est aussi différent derrière un écran ou assis en tribune. » Ça tombe bien : à partir du 15 mars prochain, date du début de la 71e saison, 22 Grands Prix (un record) sont programmés aux quatre coins du monde.