Le duo d'illustrateurs que les groupes de metal s'arrachent, Fortifem raconte les coulisses derrière ses plus grosses collaborations.

Musique

Qui est le duo d’illustrateurs que les groupes de metal s’arrachent ?

Fortifem raconte les coulisses derrière leurs plus grosses collaborations.

Écrit par Lelo Jimmy Batista

Temps de lecture estimé : 8 minutesPublié le 12.09.2019 · 10:53 UTC

Adrien Havet et Jesse Daubertes ont réussi en un peu moins de 10 ans à se faire une place de choix dans le paysage visuel international sous le nom de Fortifem. Leur particularité ? Un style unique et instantanément reconnaissable qui emprunte à la gravure, au tatouage et à l'imagerie metal, et une éthique de travail forte, où l’implication et l’exigence restent la même, qu’ils travaillent pour Rammstein ou un jeune groupe débutant. À l’occasion de leur participation au Red Bull Music Festival Paris, où ils mettront en scène une cérémonie metal inédite sur la scène du Trianon le 25 septembre, le couple d’illustrateurs parisiens est revenu avec nous sur quelques-uns des projets qui ont marqué leur parcours.

REGARDE LES HOMMES TOMBER

(Pochette de disque, 2015)

« Ce groupe nantais nous a proposé de faire la pochette de leur premier album. Ils avaient sorti une première démo avec une gravure de Gustave Doré et voulaient continuer dans le même esprit, mais avec une illustration originale. On a élaboré tout un concept basé sur la tour de Babel, quelque chose de très monumental et grandiloquent, qu’on a prolongé sur le deuxième album, « Exile », sorti en 2015. C’est une pochette importante dans notre parcours parce que le disque a rencontré pas mal de succès dans la scène metal.

On a commencé à voir énormément de gens porter les T-shirts du groupe – qu’on illustrait également. Des anonymes, mais aussi des gens plus connus. C’est comme ça qu’on s’est retrouvés en contact avec Matthew Heafy, le chanteur-guitariste de Trivium, qui avait aimé le disque et la pochette et voulait qu’on fasse des T-shirts pour eux. D’un coup, on passait d’un groupe avec 10 000 followers sur les réseaux sociaux à des gens qui en avaient près de 2 millions et sortaient 10 nouveaux modèles de T-shirts chaque mois. Une très grosse machine, donc, mais avec comme interlocuteur ce type qui était un authentique passionné. Et pour nous c’est un argument beaucoup plus décisif que la notoriété. »

EMPEROR

(Logo, 2018)

Emperor - Logo (2018) par Fortifem

« Le truc cool quand tu te retrouves à bosser avec un groupe comme Trivium, c’est qu’ils parlent de ton boulot à d’autres gens. Qui en parlent à d’autres gens… Et un jour, tu reçois un mail d’Emperor. Mais genre, les « vrais » Emperor. Un des plus grands groupes de la première vague black metal norvégienne, qu’on écoute depuis qu’on a 15 ans. Ils voulaient qu’on revisite leur logo, encadré par une couronne et deux lions – parce que cette couronne et ces deux lions provenaient du blason de leur ville, Bergen, et qu’ils étaient désormais copyrightés.

Il fallait donc trouver autre chose et on a alors tout redessiné en remplaçant notamment les lions par des loups. C’était une expérience géniale parce qu’on a, là encore, eu affaire à des gens passionnés, accessibles et profondément impliqués dans ce qu’ils font. On préférera toujours bosser en direct avec un musicien qui sait ce qu’il veut et qui nous demandera de changer ceci ou cela ou de rajouter plus de couleur ici ou là, plutôt qu’avec un manager qui passe juste une commande et se fout complètement du résultat – ce qui arrive assez souvent et qu’on refuse désormais systématiquement. »

SLIPKNOT

(Affiche sérigraphiée, 2019)

« Chaque année, au moment où tombe la programmation du Hellfest, l'atelier de sérigraphie Le Grand Chic contacte tout son réseau d’illustrateurs et demande à chacun avec quels groupes il a envie de bosser. Ils contactent ensuite les artistes pour savoir lesquels sont partants et une fois qu’il a les réponses, tout le monde se met au boulot. Pour le coup, Slipknot on n’y croyait pas trop... mais le groupe s’est pourtant montré intéressé et a définitivement accepté après avoir vu les croquis.

C’est très particulier comme boulot, parce que tout passe par un intermédiaire, alors qu’on a l’habitude de travailler en direct soit avec un manager, soit avec le groupe lui-même. Mais ça s’est extrêmement bien passé parce que tout le monde savait où il allait et qu’il y avait un bon échange. Il est déjà arrivé qu’on refuse de bosser avec de très gros groupes parce que leur demande ne collait pas. Gojira, par exemple, qui nous ont demandé quelque chose qui n’était pas dans nos cordes et à qui on a préféré conseiller d’autres gens. »

RAMMSTEIN

(T-shirt, 2018)

« Autre cas de figure, encore plus rare, puisque pour celui-ci on est allés nous mêmes démarcher le groupe, chose qu’on ne fait jamais habituellement. Trivium nous avait invités au Download Festival. On a passé un moment avec le groupe, on s’est promenés sur le site et on a réalisé que Rammstein jouait en tête d’affiche. C’est un groupe qu’on n'avait pas écouté depuis plus de 10 ans, on s’est dit que ce serait marrant d’aller les voir. Et on s’est pris une telle claque qu’on est retournés les voir un mois plus tard à Berlin. On s’est dit que ce serait vraiment génial de bosser avec eux, mais ça nous semblait totalement hors de portée.

Un an plus tard, après une série de rendez-vous ratés et de boucles de mails restées en suspens, on a fini par rencontrer la personne qui s'occupe de leur merchandising. On lui a proposé cinq visuels, qu’il a soumis au groupe et ils ont retenu celui-ci, à l’unanimité, pour en faire un T-shirt. Au final, ça s’est fait un peu par hasard, sans vraiment chercher, et surtout sans forcer. Avec un groupe comme ça, ça ne sert à rien de toute façon. Si tu ne passes pas par une personne de confiance, il y a peu de chances pour qu’on t’écoute. »

DEAD ROSES

(Illustration, 2012)

« Une de nos premières illustrations. C’est moi (Jesse) qui l’a faite, l’année où on a décidé de se lancer en duo sous le nom Fortifem. Adrien était parti au Mexique avec l’agence de communication pour laquelle il bossait à l’époque et m’avait envoyé un bouquet de 53 roses – 53 étant un de nos chiffres fétiches. J’ai laissé sécher le bouquet, je l’ai pris en photo et j’ai fait ce dessin. À son retour, Adrien a proposé qu’on en fasse des tirages et quelques t-shirts.

Ça a très vite attiré l’attention de certains groupes, comme AmenRa qui nous ont demandé de l’utiliser, mais on a refusé, parce que c’était une illustration qu’on avait faite pour nous. Ça n’a pas empêché d’autres groupes de l’utiliser sans autorisation, ou des gens d’en faire des T-shirts… Vis à vis de ça, on a une position assez claire : si on parle de T-shirts vendus sur les marchés au fin fond de l’Asie, on laisse faire, ça ne sert à rien. En revanche, si c’est un groupe ou une marque, on intervient. »

H.P. LOVECRAFT

(couverture d’audiobook, 2015)

« Ça, c’est venu de Florian Dennisson, un type rencontré dans la scène hardcore qui lançait Chambre Noire, une maison d’édition d’audiobooks et d’ebooks. Il n’était pas satisfait des traductions françaises des nouvelles de Lovecraft et avait fait faire de nouvelles versions de deux d’entre elles. Il les a ensuite éditées et a fait appel à nous pour les couvertures. On en a profité pour expérimenter et pousser le truc à fond, en dessinant tout, y compris le titrage et le logo de la maison d’édition.

Les couvertures ont tellement plu qu’on les a éditées sous forme d’affiches. On a eu énormément de demandes, parce que ça touchait un public très large, beaucoup plus que celui de nos boulots musique. On avait encore des commandes la semaine dernière alors que ça date de déjà 4 ans. »

CARPENTER BRUT

(Pochette intérieure de l’album « Leather Teeth », 2018)

« Il y a environ 7 ans, un mec nous contacte en nous disant 'je vis pas à Paris, je suis pas cool, je fais de la musique dans mon coin, vous pouvez me faire un logo ?' Il avait 4-5 morceaux, un crossover entre metal, new wave, musique de films et musique de jeu vidéos… On n’avait jamais rien entendu de semblable. Aujourd’hui, c’est un courant reconnu (la synthwave, avec des groupes comme Perturbator, Mitch Murder, Dan Terminus, GosT...), mais à l’époque ça sortait vraiment de nulle part. On a accepté et on a d’abord fait le logo, puis des T-shirts, dont un sur lequel Giorgio Moroder se fait trépaner – que Moroder a vu et a bien aimé, d’ailleurs !

Plus récemment, on a fait la pochette de son album « Leather Teeth », qui est basé sur l’histoire d’un adolescent défiguré en cours de chimie qui devient serial killer. On a notamment fait ce dessin de sa chambre d’adolescent pour l’intérieur de la pochette, qui est bourré de références et de private jokes. Il y a toujours énormément de détails et de références dans ce qu’on fait avec Carpenter Brut. On en propose une partie, lui en propose d’autres et on mélange tout ça. Ça résume assez bien notre démarche : une rencontre, un échange et la volonté de coller à l’esprit de l’artiste et de son projet. »