Le hockey sur glace est un sport bien particulier, et cela ne tient pas seulement au fait qu’il soit extrêmement physique, spectaculaire, ou qu’il se déroule sur une surface aussi peu accueillante que la glace. Non, ce qui en fait un sport à part, c’est l’acceptation des combats entre joueurs. En NHL, où évoluent Mitch Marner (Las Vegas Golden Knights), Will Smith (San José Sharks) et Thomas Hertl, il n’est pas rare de voir deux joueurs en venir aux mains. Mais alors, comment est née cette pratique ? Comment s’articule-t-elle ? Pourquoi est-elle tolérée ? Où en est-on aujourd’hui ?
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Les origines de la pratique
Le hockey sur glace est un sport très ancien. La première mention du mot hockey remonte d’ailleurs à 1772, dans un livre centré sur les passe-temps et les sports pour les plus jeunes. Comme souvent, il a d’abord été pratiqué, dans une forme primaire, en Angleterre. À cette époque, il n’est pas encore question de glace ou de patins, mais plutôt de l’ancêtre du hockey sur gazon.
Avec les différentes vagues migratoires de la Grande-Bretagne vers l’Amérique du Nord, dont la Grande famine irlandaise de 1845, la culture de l’île s’étend et déménage au Nouveau Monde. Quelques années plus tard, en 1875, à Montréal, le premier match de hockey sur glace organisé a lieu. Même au XIXe siècle, certains spectateurs ont été surpris par la nature violente du sport. Dans les pages du Daily British Whig, un journal de l’époque, on pouvait lire : « Les tibias et les têtes furent meurtris, les bancs brisés, et les spectatrices s’enfuirent dans la confusion. »
De fait, on peut donc affirmer sans trop de doute que les combats entre joueurs ont très tôt fait partie du sport. Au début du XXe, avec l’ajout des lignes bleues et l’interdiction de passer le palet vers l’avant à l’extérieur de celles-ci, les joueurs les plus habiles recevaient de nombreux coups. Les “enforcers”, leurs coéquipiers plus rugueux (et souvent moins talentueux), avaient pour mission de les protéger. De fil en aiguille, entre les défenseurs et eux, les relations se sont donc particulièrement tendues. Encore aujourd’hui, même si bien moins présente, cette notion existe.
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Comment s’organisent les combats ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, dans la majorité des cas, les combats ne sont pas inopinés. Deux joueurs se parlent, au moment d’un face-off ou après une bousculade, et se mettent d’accord. Après quoi, ils enlèvent leurs gants, laissent tomber leur crosse sur la glace, et tentent de s’échanger des coups. Pendant ce temps, le jeu s’arrête, et les arbitres se positionnent à proximité pour s’assurer du “respect” des règles. Dès qu’un joueur tombe au sol, la bagarre se termine, les joueurs sont sanctionnés et doivent quitter la glace.
Si on emploie le verbe “tenter”, ce n’est pas sans raison. Sur la glace, les appuis sont plus ou moins inexistants, et toucher l’adversaire est donc particulièrement complexe. C’est aussi extrêmement fatiguant, les affrontements durent rarement plus que quelques dizaines de secondes.
Évidemment, il arrive que des bagarres aient lieu de manière “organique”, mais c’est généralement lié au fait de pousser un rookie qui participe à ses premiers matchs, ou lorsqu’un gardien se fait percuter par un joueur adverse. Tout cet ensemble est régi par “The Code”, des règles informelles qu’on peut résumer rapidement : si vous faites un mauvais geste, vous serez sanctionné, par les arbitres, ou par un joueur de l’équipe adverse. En NBA, si le match est plié, marquer un panier lors des dernières secondes est très mal vu. Au hockey, si vous collez votre crosse dans les côtes d’un adversaire, attendez-vous à passer chez le “dentiste”.
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D’où vient cette tolérance ?
Si les arbitres ont pour habitude de laisser deux athlètes en venir aux mains, c’est pour différentes raisons. Comme on l’a dit, il est très difficile de frapper quelqu’un sans avoir de solides appuis. De fait, hormis dans le cas des joueurs connus pour se battre régulièrement, ces bagarres entraînent très rarement de graves blessures (et aujourd’hui, les commotions sont heureusement traitées avec beaucoup plus d’attention). Entre les mises en échec, les crosses hautes et les chutes… en jeu, avec la vitesse des joueurs, les risques sont bien plus élevés que lors des 1 contre 1. De plus, dans un sport où les contacts sont récurrents et les tensions à leur paroxysme, les combats encadrés permettent à deux joueurs de régler rapidement leur contentieux. Comme le disait Gary Bettman, le président de la ligue en 2016 : “Les combats font office de thermostat.” Au-delà de ces aspects, il en existe un autre qui est bien moins reluisant : cela fait partie du spectacle, du produit NHL, et de nombreux fans apprécient ces moments.
Il y a des arguments pour et contre cette pratique. Alors qu’un côté met en avant le fait que les affrontements sont un moindre mal et une tradition, l’autre trouve que cela donne un mauvais exemple, glorifie la violence et peut entraîner des blessures.
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Différentes ligues, différentes sanctions
Dès 1922, en Amérique du nord, la règle 56 a été créée pour donner un cadre à ces échauffourées et, si elle a ensuite évolué, la sanction est restée la même : 5 minutes de pénalité. 5 minutes en infériorité numérique, cela peut sembler beaucoup, mais en boxe comme au tango, il faut être deux, les équipes restent donc généralement à égalité numérique sur la glace.
Lors des compétitions internationales, ou dans les ligues européennes, les combats sont strictement interdits et sanctionnés (d’au moins) un match de suspension. Il en va de même pour la PHWL, la Ligue professionnelle de hockey féminin d’Amérique du Nord. Malgré cela, lors du Four Nations Face-Off de 2025 et le match USA - Canada, cela n’a pas empêché le déclenchement de trois bagarres en… 9 secondes de jeu.
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L’évolution des bagarres
À l'heure actuelle, les affrontements en NHL ne sont plus vraiment un sujet. Le niveau technique et la vitesse des joueurs ont atteint de tels sommets que l’on voit assez peu d’enforcers sur la glace. Les équipes cherchent à avoir les joueurs les plus doués possible, sans besoin de besogneux prêts à se battre et à envoyer de l’impact physique. Dans les années 80, et jusqu’au milieu des années 90, il y avait en moyenne 1 combat par match. D’après Société Radio-Canada, de 734 combats en 2008-2009, la ligue est passée à 297 l’année dernière.
Une bonne nouvelle pour Will Smith qui a donc peu de chances d’être ciblé par des vétérans adverses habitués aux joutes physiques, et va pouvoir continuer à faire parler ses talents de buteur.