Le souvenir est resté profondément gravé en lui. Nous sommes le 22 mai 2021, à Monaco, quand le téléphone d'Isack Hadjar sonne. À l'autre bout du fil, un proche le prévient qu'il est attendu à l'hôtel par Helmut Marko. Le Français de 16 ans, qui a remporté la course du samedi en FRECA (Championnat d'Europe de Formule Régionale par Alpine) quelques heures plus tôt, croit d'abord à un canular. Puis il prend conscience que sa carrière peut changer de dimension au terme de cet entretien improvisé. « Quand j'arrive à l'hôtel, c'est un peu la folie, se souvient-il au micro de Canal +. Je vois Sergio Pérez, [Max] Verstappen, Christian Horner (…) [Helmut Marko] me parle de mon parcours et me demande pourquoi je n'ai rien gagné en kart ou en F4 ».
La réponse à cette question piège n'a pas d'importance car le contrat est déjà prêt. Ce jour-là, le responsable de la filière des jeunes pilotes lui formule une offre qu'il ne peut refuser : marcher dans les traces de ses glorieux aînés Jean-Eric Vergne ou Pierre Gaslyen intégrant le Red Bull Junior Team. « Il n'a même pas été question d'y réfléchir vraiment, rappelle-t-il. Je n'ai même pas eu à lui dire oui, c'était évident que c'était le cas ».
Un début de saison canon
L'Autrichien a eu le nez creux, comme souvent, car son poulain est l'une des grandes révélations de la saison. Enrôlé par Hitech GP, jusqu'alors modeste équipe de milieu de grille, Isack Hadjar marque les esprits dès l'entame du championnat. « Isack a trouvé ses marques (dans l'équipe) très rapidement, se félicite Oliver Oakes, son directeur d'équipe. Nous nous attendions à ce qu'il ait besoin d'un peu plus de temps pour bien s'adapter mentalement et physiquement ». Lors du premier week-end à Bahreïn, il remporte la course sprint, profitant de la pénalité infligée à Oliver Bearman pour avoir dépassé les limites de la piste. En juillet, rebelote à Silverstone après un spectaculaire dépassement par l'extérieur sur Victor Martins, son rival et homologue français. Agressif et régulièrement bien placé, il claque sa meilleure performance sur le circuit de Spielberg en remportant la course principale. Résultat : jusqu'au dernier Grand Prix, le natif de Paris reste idéalement placé pour le titre. Il lui échappe finalement pour quelques points. « Globalement, je pense que nous pouvons être fiers du travail accompli. Mais 4e au général, ce n'est clairement pas notre place ».
Isack Hadjar, l'étoile montante du sport automobile français
© Dutch Photo Agency/Red Bull Content Pool
Éclosion tardive
S'il est aussi exigeant, c'est parce que la route a été longue. Son itinéraire débute en 2012, sur la piste de Kartland à Moissy-Cramayel en Seine-et-Marne. « L'endroit où il a le plus tourné de sa vie », de son propre aveu. Isack n'a que 8 ans mais affiche, déjà, une forme de sérénité sur la piste. « C'est un bébé Kartland, raconte le propriétaire de ce grand complexe proche de Paris à AUTOHebdo. Il a débuté ici chez nous en Ufolep (Union Française des Œuvres Laïques d’Éducation Physique), un championnat très accessible dans lequel la licence coûtait 60 euros et l’inscription aux courses 50. Ils étaient 40 sur la grille, et plus il y avait de monde, plus le niveau était élevé. À l’époque, on pouvait déjà imaginer qu’il réussirait une jolie carrière» .
Cette jolie carrière, justement, n'aurait peut-être jamais décollé sans ce « hat-trick » (pole position, course, meilleur tour) réalisé à Monaco. Car pendant des années, Isack Hadjar s'est contenté des places d'honneur, sans jamais décrocher de titre dans un championnat majeur. Son meilleur résultat ? Une troisième place en Championnat de France de Formule 4 derrière deux pilotes japonais, pour sa seconde campagne dans la catégorie. « Mes premières années en monoplace ont été difficiles, admet-il. Lorsque je n'avais pas le rythme (…) J'étais toujours frustré ». Désormais plus régulier et capable d'extraire le potentiel d'une monoplace de milieu de peloton, celui que Helmut Marko compare à « un jeune Prost moins politique » a désormais une cote élevée dans l'antichambre de la catégorie reine.
Et s'il admet pouvoir encore progresser, notamment en séances de qualification où il lui manque « un peu d'expérience pour tout mettre bout à bout, au moment où le pneu est dans la bonne fenêtre et où la voiture est vidée en essence », il peut désormais se permettre de rêver. « S'il performe en F2, il y a une forte probabilité de voir Isack Hadjar en F1 en 2024 » annonce l'Autrichien. La pépite est prévenue, le paddock aussi.