Interview avec le rappeur Green Montana pendant son enregistrement au Red Bull Studio.
© Linda Rachdi
Musique

En studio avec Green Montana

Quelques jours après la sortie de son EP « MELANCHOLIA 999 », le rappeur Green Montana pose ses valises au Red Bull Studio pour une semaine d’expérimentations musicales en toute décontraction.
Écrit par Ismaël Mereghetti
Temps de lecture estimé : 10 minutesPublié le
Après le froid et ténébreux « Alaska », album sorti fin octobre 2020, Green Montana poursuit son voyage artistique au sein d’un univers peuplé de voix retouchées, de toplines marmonnées et de lyrics enfumés. Un univers qu’il a su élargir avec l’EP « MELANCHOLIA 999 » et dont il envisage encore de repousser les limites. L’occasion d’embarquer avec le rappeur belge dans la salle du temps pour discuter de ses méthodes de création artistique.
Tu viens de sortir un nouvel EP, tu es même encore en promo. Tu arrives déjà à te mettre dans une énergie de création ?
Je suis tout le temps en création, je ne m’arrête jamais de chercher des trucs. Cette semaine dans le studio Red Bull je n’étais pas sous pression, j’étais accompagné d’un compositeur signé chez North, Lamsi, qui vient d’Amsterdam. On a développé une bonne alchimie, ce qui nous a permis d’essayer plein de choses. Il composait des instrus pendant que moi je complétais des bouts de morceaux existants ; dès que j’entendais de son côté des beats qui me plaisaient, je mettais en pause ce que je faisais, je trouvais une inspi et je partais dessus, pour une topline, quelques lignes de texte... On est partis dans tous les sens, en poussant des directions amorcées sur « MELANCHOLIA 999 ». On a travaillé une petite dizaine de morceaux entre lundi et vendredi, dont cinq titres complètement finis. C’est un rythme standard pour moi, quand je suis inspiré...
T’as besoin de travailler avec les beatmakers en studio ou tu préfères fonctionner à distance ?
Tout dépend de l’alchimie avec le beatmaker : si on ne se comprend pas parfaitement, on perd du temps. On va chercher ensemble, je vais essayer des trucs, faire des allers-retours avec lui en étant moyennement satisfait. Finalement, je gâche une après-midi alors que si j’avais ouvert 50 mails, j’aurais peut-être fait 10 sons…
Le producteur Lamsi et le rappeur Green Montana travaillent au Red Bull Studio.

Le rappeur Green Montana et le producteur Lamsi au Red Bull Studio

© Linda Rachdi

Qu’est-ce que t’a apporté concrètement le studio Red Bull ?
Déjà du Red Bull à volonté ! [rires] Je n’étais jamais venu ici, ça m’intéressait de travailler dans un studio plus grand, dans un beau cadre, pour l’expérience : rencontrer de nouveaux ingénieurs du son, être loin de la maison, ça aère l’esprit. J’ai l’habitude de travailler essentiellement chez moi. Le home studio, c’est la solution de facilité : je n’ai aucune pression des horaires, je ne suis pas obligé de produire dans un temps imparti. Et si un truc me passe par la tête, je peux l’exploiter directement, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Ce qui m’offre la possibilité de faire tout le temps du son. D’autant que je suis un solitaire, je m’enregistre tout seul, pour davantage de spontanéité.
À quoi ressemblent tes sessions d’enregistrement ? Comment tu procèdes ?
J’ai complètement changé ma façon d’enregistrer ces six derniers mois. Je n’écris plus : je me mets derrière le micro, je prépare une topline inspirée par le son et je la remplis avec les mots qui me viennent et qui sonnent bien. Pareil pour les couplets en général, je les pose bloc par bloc, comme un puzzle. En réécoutant l’ensemble, je déplace des parties, j’agence différemment, etc.
Ça faisait un moment que je voulais tenter de travailler comme ça. Et puis pendant le confinement, je n’avais que ça à faire, donc je me suis lancé. Les premiers sons étaient très bizarres [rires]. Petit à petit, ça a commencé à donner quelque chose, j’ai envoyé à mon équipe, ils ont validé, donc j’ai continué à creuser cette méthode.
La validation de ton équipe est primordiale ou tu te fies davantage à ton instinct ?
J’ai besoin que ça soit validé à chaque fois, à tel point que si je kiffe un son et que mes gars ne cautionnent pas, je cesse instantanément de l’aimer. Je vais me dire « ah en fait il est tuba ». Et à l’inverse, quasiment tout le temps, ce sont mes potes qui me signalent que tel ou tel morceau est cool et qu’il faut le sortir. Et ils se trompent rarement.
Tu as donc besoin d’être très entouré pour la direction artistique ?
Je ne réécoute pas vraiment les sons que je fais. Ce sont mes frérots qui sont là pour avoir le recul, qui donnent leur avis pour m’aiguiller. Sinon je fais n’importe quoi ! Ma force réside dans les gens qui m’entourent. C’est le cas avec Booba, qui me délivre beaucoup de conseils sur la direction artistique, puisque je ne suis pas assez objectif sur ma musique. Je peux aussi compter sur Isha qui écoute tout, Six (D.A du label North), Stan mon manageur, mes potes…
Même si je suis productif, je garde beaucoup de choses pour moi, je ne leur envoie pas l’intégralité de ce que j’enregistre. Il y a des trucs que je ne vais peut-être pas assumer, je préfère garder ça au chaud.
Qu’est-ce qui n’est pas assumable ?
Parfois je vais trop loin dans des expérimentations de son. Récemment, j’ai fait un son aigu à fond, toutes les notes sont trop aiguës. Personne n’est au courant. Ça sonne bizarre là, mais si je le retravaille, ça peut donner un truc... C’est une technique que j’adopte de plus en plus, le fait de revenir sur des morceaux, de les terminer, d’ajouter quelques mesures. Avant je détestais ça, il fallait systématiquement aller de l’avant.
Le rappeur Green Montana en plein enregistrement au Red Bull Studio.

Green Montana en plein enregistrement au Red Bull Studio

© Linda Rachdi

Quand tu es en studio, tu as besoin d’être dans certains états ? Comment les substances influencent-elles ta création ?
Je n’arrive pas à être à jeun au studio, j’ai toujours besoin de fumer ou de boire un truc. Après, le résultat est très aléatoire [rires]. Hier par exemple, j’ai trop bu, ça n’a pas donné grand-chose ! Mais le morceau « Rêves magiques », je l’ai conçu en étant complètement cuit, je ne me rappelle même pas de l’enregistrement. On était au ski, j’ai fait six morceaux en deux heures, je ne voulais faire qu’enregistrer, je posais une piste, même pas de pistes d’ambiance. J’enchainais, et tout était plutôt lourd !
Tu te souviens de ta première fois dans un studio pro ?
Quand Isha m’a repéré en 2016, je devais avoir 22 ans, il avait un plug dans un studio de Bruxelles. On avait un arrangement : quand il n’y bossait pas, il leur disait qu’il y était quand même, il me laissait les clés et je venais y bosser. J’enregistrais toute la nuit, seul avec des gros ordis, j’ai appris en autodidacte à utiliser Pro Tools, j’ai fait mes premiers petits tests. L’ambiance spéciale de la nuit, du secret, de la solitude, je pense que ça a conditionné ma manière de créer de la musique. À six heures du matin, mes gars recevaient cinq morceaux, et je reprenais mon train pour Verviers. J’avais trop la dalle !
À l’inverse, ton pire moment ?
Je suis déjà tombé KO en studio, en ayant trop bu. C’est pas bon ça ! [rires]
Mais la pire situation qui m’est arrivée en studio, c’est d’enregistrer tout un morceau, de tout peaufiner au millimètre près, d’effacer un cut par-ci, rajouter un adlib par-là, vraiment me prendre la tête... et puis je fais une mauvaise manip, et tout s’efface. L’enfer ! La technologie, ça peut te mettre dans de vraies galères. Un jour, j’ai voulu allumer l’ordi du studio, il y avait 50 morceaux à moi dedans, il n’a pas démarré. J’ai appelé des techniciens, des potes… Rien à faire, il était complètement mort. J’ai tout perdu… Bon c’était l’époque où je ne bossais que sur des type beats, donc si ça se trouve, c’est le destin qui m’a empêché de sortir ces sons, ça devait être trop mauvais !
La dernière fois que tu as eu la pression en studio, c’était quand ?
J’ai eu très chaud pour « Risques » sur l’album « Alaska ». Je transpirais carrément, j’ai dû enlever mon t-shirt. On était dans un studio à Bruxelles, il y avait Anne Cibron, la boss du label 92i qui avait fait le déplacement, et le grand Dany Synthé. La seule consigne qu’on m’a donnée c’est : « Fais une chanson ». Ce mot, « chanson », m’a traumatisé. C’est ce qu’il y a de plus dur à faire, une « chanson », il n’y a pas de recette miracle. Je ne devais pas dire de gros mots, être efficace, partir sur un petit piano, une guitare… Ça m’a mis la pression, j’ai mis du temps à comprendre comment faire. La première fois que je suis rentré dans la cabine, j’ai carrément commencé mon texte par « Sale pute », j’étais à l’ouest, c’était tout ce qu’il ne fallait pas faire [rires]. Mais finalement on a réussi, et c’est probablement mon plus gros morceau solo jusqu’à présent. Il nous a emmenés en Tunisie, pour tourner le clip, c’est beau !
Des rencontres marquantes en studio ?
Plein de gens m’ont choqué, sdes ingés, des beatmakers ou des rappeurs. Mais la dernière claque que je me suis prise, c’est SDM, il va trop vite. Topline, écriture, voix, il trouve tout super rapidement, et ça donne un single. En plus, humainement, ça colle vraiment bien entre nous. Je pense qu’on va refaire de la musique très bientôt...
Avec qui tu rêverais de te retrouver en studio ?
Drake ! La question ne se pose même pas. Il me donne tous les ordres qu’il veut : « pose une mesure ici, rajoute un flow là » et moi je suis ! Comme Brulux avec Jul [rires]. Même si je dois mettre que deux mesures à la fin, ou juste dire « Green » au début du titre, ça me va !
Le rappeur Green Montana au Red Bull Studio.

Green Montana au Red Bull Studio

© Linda Rachdi

À quoi va ressembler la suite pour toi ? T’as un plan bien défini pour les prochains mois ou tu t’autorises un temps pour créer librement ?
« MELANCHOLIA 999 » a été bien reçu, les retours m’ont fait du bien. Je sens qu’il y a des gens qui commencent à pousser derrière moi, on y croit ensemble, l’engrenage se met en place. Avant de sortir « Alaska » à l’automne 2020, j’étais très stressé. La sortie m’avait rassuré tout en captant qu’il y avait encore beaucoup de chemin à parcourir. Tenter de faire évoluer un peu ma formule sur ce deuxième petit projet, c’était angoissant, j’avais peur que le public ait des attentes bien précises et que ça les déroute. Et en réalité, pas du tout, les gens ont validé !
Donc dans les prochains mois, je vais préparer un prochain projet, c’est sûr, mais en m’autorisant à ouvrir encore plus la palette des beats, à mettre plus d’adlibs, à encore plus marmonner et à tenter des flows que personne ne réalise en France. Je me sens libéré pour expérimenter.
Tu es crédité sur deux productions du dernier EP. Tu comptes t’investir davantage dans le beatmaking ?
Oui, mais sans toucher aux machines. Ça me rend fou, je n’ai pas les tips d’un beatmaker, donc je passe trop de temps dessus. Je préfère travailler avec un producteur qui maîtrise tout FL Studio et qui est capable de réaliser concrètement tout ce que j’ai dans la tête. On part d’une mélodie, il me fait 10 propositions et je choisis. En mode P.Diddy quoi !
Dans cinq ans, à quoi ressemblera le projet Green Montana ?
Il faut que je sois millionnaire, sinon j’ai raté un truc. J’aurais 33 ans. Je vais devenir fou si je ne suis pas blindé... J’espère que j’aurai un studio encore plus gros qu’ici !