Découvrez notre guide des phrases les plus incompréhensibles du rap français expliquées et illustrées.
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Musique

Mais qu'est-ce qu'ils racontent ?

Les phrases les plus incompréhensibles du rap français expliquées et illustrées.
Écrit par Yérim Sar
Temps de lecture estimé : 8 minutesPublié le
Que vous écoutiez du rap depuis un certain temps ou que vous découvriez cette musique seulement maintenant, le rap est peut-être un des rares genres musicaux qui regorge d’expressions qui lui sont propres. Qu'il s'agisse d’une référence particulièrement obscure, d’une expression utilisée à l’autre bout de la France ou d’une déformation linguistique carrément cryptique, suivez le guide.

« Tu hors de ma vue »

Wejdene effectue un raccourci utilisé assez innocemment pour dire « tu dégages hors de ma vue », sauf que le côté viral du tube a rendu l’expression très populaire dans un laps de temps très court.

Wejdene – Anissa : « Tu hors de ma vue »

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Wejdene – Anissa

Le souci : il manque clairement un verbe à cette phrase, qui a première vue n’a donc strictement aucun sens.
La pire interprétation : penser que Wejdene n’a pas fait exprès et qu’elle ne sait réellement pas s’exprimer correctement dans sa vie de tous les jours.
Décodage : Ok Wejdene n’a rien d’une rappeuse mais on était obligés. Ici, elle effectue un raccourci utilisé assez innocemment pour simplement dire « tu dégages hors de ma vue », sauf que le côté viral du tube a rendu l’expression très populaire dans un laps de temps très court. On note que sur la cover de l’album, l’équipe de Wejdene a glissé un clin d’œil façon troll en plaçant un dictionnaire de français sur le bureau où trône l’artiste.
L’explication de Wejdene : dans le clip du morceau « Anissa », on a droit à une interlude où une femme, à mi-chemin entre une psy et une prof de français (c’est pas super clair) reproche à la chanteuse sa formulation : « non mais vous savez quand même que c'est pas du tout français ? »
Ce à quoi Wejdene répond le plus tranquillement du monde « en vrai de vrai, je m'en bats les couilles ». Elémentaire.

« Elle est djomb »

À la toute base, "Djomb" est un mot d’argot qui serait né à Grigny avant de se répandre un peu partout.

Bosh – Djomb : « Elle est djomb »

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Bosh – Djomb

Le souci : le mot « djomb », sans être non plus réservé aux initiés, n’avait jamais autant tourné via un hit de rap, pour le grand public c’est une surprise.
La pire interprétation : confondre avec « yomb » autre adjectif qui veut dire être dégoûté et n’a absolument aucun rapport avec des attributs physiques.
Décodage : à la toute base, il s’agit (encore) d’un mot d’argot qui serait né à Grigny avant de se répandre un peu partout. Au point que selon des puristes grignois, Bosh ne prononce pas exactement le mot comme il faudrait, mais ce sont là des débats de fins connaisseurs. On peut retrouver l’expression dans le morceau Bad Wo de l’humoriste OhPlai, natif de Grigny, qui décrit « un gros gamos, AMG, une nana djomb, côté passager ».
L’explication de Bosh : Suite au succès du morceau qui est devenu un tube de l’été, le rappeur a explicité à plusieurs reprises la signification du titre : « ça veut dire elle est fraîche, elle est douce, elle est belle... D'autres diront elle est bonne ». D’autres, mais pas Bosh, car Bosh est un gentleman, sachez-le.

« Ils font les Zampa »

Zampa, c’est Gaetan Zampa, l’un des parrains les plus connus du milieu marseillais qui a régné sur pas mal de trafics pendant quasiment une vingtaine d’années.

Soso Maness – Droga : « Ils font les Zampa »

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Soso Maness – Droga

Le souci : si vous n’êtes pas familiers avec les figures historiques de la pègre marseillaise, le nom Zampa ne vous évoque sûrement pas grand-chose.
La pire interprétation : entendre « ils font les cent pas », et ne pas comprendre pourquoi Soso cultive un profond mépris pour des types coupables de réfléchir en marchant tout seul chez eux.
Décodage : Zampa, c’est Gaetan Zampa, l’un des parrains les plus connus du milieu marseillais qui a régné sur pas mal de trafics pendant quasiment une vingtaine d’années. Du coup, le côté dédaigneux de « faire le Zampa » correspond à des faux voyous qui s’inventent une vie de terreur à coups de mensonges en tout genre alors qu’ils sont au maximum des petites frappes, comme on dirait « il se prend pour Rambo ». Cela donne des punchlines récurrentes dans le rap marseillais :
« Y’en a qui font les Zampa, moi j’ai jamais menti » – Mehdy YZ « Chacun sa vie »
« C'est pas parce que j'ai du buzz que je fais le Zampa » – Jul « Y’a beaucoup d’absents »
« Je te sors le glock et tu me fais moins le Zampa » – Naps « Tu m’aimes pas »
L’explication : l’aura de Zampa dans le Sud de la France est comparable, niveau réputation, à celle de Mesrine pour les Parisiens. On comprend pourquoi nombreux sont les rappeurs qui l’utilisent en référence, surtout du côté de Marseille.

« Jamais vu un vrai gars sans PGP »

PGP signifie Pretty Good Privacy (« plutôt bon niveau de confidentialité »). C’est un logiciel qui permet de crypter et protéger des échanges privés via téléphone.

Sofiane – #JesuispasséchezSo Épisode 12 : «Jamais vu un vrai gars sans PGP»

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Sofiane – #JesuispasséchezSo Épisode 12

Le souci : à moins de s’intéresser aux derniers outils pour s’assurer de la confidentialité de ses conversations, cette affaire de PGP est assez obscur.
La pire interprétation : croire que ce sont les initiales de Plateforme Grand Public, un service en charge de la vente des magazines qu’on trouve devant les caisses des supermarchés. Télé 7 jours, Pèlerins Magazine, tout ça.
Décodage : PGP signifie Pretty Good Privacy (« plutôt bon niveau de confidentialité »). C’est un logiciel qui permet de crypter et protéger des échanges privés via téléphone en garantissant l’authenticité des interlocuteurs tout en protégeant leurs données. Ces dernières années il est devenu populaire chez une partie du crime organisé, d’où sa présence dans certains lyrics :
« PGP branché, la ne-zo est quadrillée » – Booba « PGP »
« Je suis du 9.2 en PGP, t'es du 9.2 BCBG » – Kekra « Tout Seul »
L’explication : Kekra avait précisé que « 92 en PGP » était une image pour dire qu’en plus d’utiliser le logiciel de cryptage, il se considérait comme discret, sous les radars. Quant aux autres, ils ont intégré PGP à leur vocabulaire quand le logiciel est devenu incontournable pour crypter ses conversations à grande échelle.

« La kichta, hé donnez-nous la kichta »

En réalité le mot circulait depuis pas mal de temps pour parler d’une grosse liasse de billets et par extension d’une belle somme d’argent en général.

Soolking Heuss L’Enfoiré – La Kichta: «La kichta, hé donnez-nous la kichta»

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Soolking et Heuss L’Enfoiré – La Kichta

Le souci : Heuss a habitué tout le monde à ses tubes reposant presque entièrement sur un mot d’argot semi-inédit pour le commun des mortels, alors un de plus ou un de moins...
La pire interprétation : confondre avec kefta et penser que Soolking et Heuss n’ont pas été nourris depuis des jours.
Décodage : en réalité le mot circulait depuis pas mal de temps pour parler d’une grosse liasse de billets et par extension d’une belle somme d’argent en général, mais deux morceaux l’ont remis en avant dernièrement. Le morceau de Soolking et Heuss donc, mais aussi Gazo sur « Drill FR 4 » le jeune MC a pas mal participé à repopulariser l’expression avec son « téma la kichta, téma la taille de la kichta » devenu viral.
L’explication de Soolking et Heuss : dans le clip qui illustre le morceau, l’intro parodie une émission télé façon Questions pour un champion et la présentatrice donne une définition précise à travers sa question : « le mot populaire en argot pour désigner une grosse quantité d’argent ». CQFD.

« Tu boudes encore, tu me deuh fort »

Si quelqu’un vous « deuh », c’est qu’il vous frustre, vous énerve, vous fatigue voire pire.

Jul – Collé au mic : « Tu boudes encore, tu me deuh fort »

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Jul – Collé au mic

Le souci : Vous pouvez tenter de deviner le sens mais bon courage...
La pire interprétation : penser que c’est une retranscription phonétique à la française du fameux « D’oh », légendaire onomatopée d’Homer Simpson. Ce n’est malheureusement pas le cas.
Décodage : Si quelqu’un vous « deuh », c’est qu’il vous frustre, vous énerve, vous fatigue voire pire :
« rien qu'elle me harcèle, elle me deuh » – Jul « Je vide mon sac »
« Elle m'a deuh, elle m'a pris le chou » - Naps « Vroum Vroum »
L’explication du linguiste : au niveau de l’origine de l’expression, certains penchent pour une déformation d’un mot made in dialecte algérien et signifiant « fatiguer », d’autres misent sur une déformation du franchouillard « dégoûter », chacun son truc.

« Et j'suis dans l'binks, et j'suis dans l'binks... »

Le mot ne date pas d’hier (« souvenez-vous du « tous les jours dans le binks » de Kaaris et de la série de freestyles Binks to binks de Ninho) mais sa popularité fonctionne par cycle.

Koba – Koba du 7 : « Et j'suis dans l'binks, et j'suis dans l'binks... »

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Koba – Koba du 7

Le souci : Koba dit tellement souvent n'importe quoi, que vous allez partir du principe que c'est un truc incompréhensible de plus. Et non, pas cette fois-ci !
La pire interprétation : se faire avoir par la phonétique et s’imaginer que ça a un quelconque rapport avec Lloyd Banks, rappeur membre de G-Unit qui n’en demande sûrement pas tant.
Décodage : Le mot ne date pas d’hier (« souvenez-vous du « tous les jours dans le binks » de Kaaris et de la série de freestyles Binks to binks de Ninho) mais sa popularité fonctionne par cycle. À un moment c’était le hall, puis le bendo et on en passe, aujourd’hui c’est à nouveau le binks. Vous l’aurez compris, cela désigne le bâtiment, la cage d’escalier, la cité, etc. A l’instar d’un groupe comme 13Block, Koba et ses potes l’utilisent également comme gimmick, on ne compte plus les morceaux qui s’ouvrent par un simple « ba-binks » beuglé dès l’intro.
L’explication de Koba (et ses potes) : Koba et ses collègues (Shotas, Bolémvn, Kodes, Kaflo, Keusty, 2zé et Chicaille argenté) se sont connus autour du Bâtiment 7, une cité historique d’Evry, et ont logiquement monté un collectif appelé le Seven Binks, ou 7 Binks. Ceci, en plus du reste, explique pas mal pourquoi le mot revient à ce point dans leurs textes. L’endroit a acquis un statut assez symbolique, au point qu’un documentaire lui a été consacré, avec des habitants et tous les rappeurs qui apportent leur témoignage avant que leur fameux Bat’7 soit détruit.