À cette période de l’année, le sud-ouest de la capitale est habituellement réservé aux rugbymen et aux footballeurs. Mais pour la troisième année consécutive, un son familier pouvait parvenir aux oreilles des plus avertis. Non, il n’était pas question ici de bouvreuils, de grives ou des autres oiseaux que l’on peut régulièrement entendre du côté du Bois de Boulogne, mais bien des rebonds de la balle orange. Et si Stéfanos Tsitsipás et Dominic Thiem n’étaient pas au rendez-vous, ce n’était pas par méforme, mais bien parce que les terrains de la Porte d’Auteuil accueillaient un autre événement : le Paris Major Premier Padel. Le troisième (et avant-dernier) Major de la saison. Au programme de ce dimanche 6 octobre : deux finales de haut vol entre les meilleures paires mondiales. Nous étions sur place pour capturer l’ambiance en cette fin de tournoi.
Le public au rendez-vous
Malgré une météo loin d’être clémente avec une pluie fine associée à un vent de côté du plus bel effet, dès 13 heures, la bouche de métro de la Porte d’Auteuil charrie une traînée discontinue de fans se dirigeant vers Roland Garros. Ce n’est peut-être que la troisième édition de l’événement, mais le public a répondu présent, et près de 13 000 spectateurs sont venus se masser dans les travées du court Philippe Chatrier. L’ambiance est familiale, le public hétéroclite, avec évidemment quelques accents espagnols. Car effectivement, si le padel gagne du terrain dans l’Hexagone, de l’autre côté des Pyrénées, il fait déjà figure de sport national. L’Espagne compte pas moins de 3,5 millions de joueurs, soit plus que de tennis. En France, ce chiffre atteint le demi-million, mais l’évolution est claire : 90% d’entre eux ont débuté au cours des 5 dernières années.
Les femmes assurent le spectacle
Stade du Grand Chelem oblige, le Philippe Chatrier n’est pas totalement rempli. Il n’empêche, l’ambiance est au rendez-vous. Les joueuses entrent sous un clapping tonitruant, et avant que le premier service en cuillère ne soit effectué, elles ont droit à une standing ovation.
Dès les premiers échanges, le public chavire au gré des coups : “Oooouuuuh, aaaaaahhh…” Les points sont disputés, parfois très longs, beaucoup plus que ce que l’on pourrait avoir au tennis. Étant donné que la taille du court n’est pas la même que pour l’autre sport chapeauté par la Fédération Française de Tennis, il n’est pas rare que les joueurs soient touchés par un smash en plein corps. Après avoir allumé une joueuse de la paire Josemaría/Sanchez, Delfina Brea s’excuse, le jeu reprend.
La communication en point d’orgue
Le premier set est extrêmement disputé, et les deux jeux qui lancent le match semblent durer une éternité au fil des égalités. Certains spectateurs, pas forcément tous habitués à assister à un match de tennis ou de padel, ont la mauvaise idée de bouger en plein échange, l’arbitre espagnol les rappelle à l’ordre d’un "veuillez s'asseoir" du plus bel effet. Oui, il a glissé en tentant le vouvoiement et en traduisant “sientense”, mais le message est passé et l’effort est noté.
Sur un smash gigantesque, Andrea Ustero se précipite en dehors de la cage pour tenter de remettre la balle en jeu. La manœuvre est trop complexe, mais le Chatrier lui rend hommage. C’est à ce moment que l’on entend retentir un air bien connu des fans de tennis qui regardent Roland Garros : “popopopopopopo polololo… olé !” Ce sera le premier d’une longue série qui verra deux enfants s’affronter d’une tribune à l’autre pour voir qui obtiendra le plus de réponses.
Sur le court, ça se répond également. Sport en double dans lequel de nombreux lobs sont tentés, les coéquipières informent en continu leur partenaire alors qu’elles ont les yeux rivés en l’air, leur donnant la position des adversaires : “Dos, dos !” signifiant que les deux membres de l’autre équipe sont montées au filet. “Mia, mia”. “Voy, voy”. La communication est au centre de la pratique, chez les pros comme les amateurs.
Because they’re simply the best
Après une lutte de tous les instants qui aura duré une heure, le premier set se conclut. Une bonne partie de la salle se lève. Pourtant, c’est à ce moment que le speaker annonce l'arrivée de l’une des stars de la journée (et de la semaine) : José The Best. Équipé de sa raclette et de ses lavettes, ce héros des temps modernes passe son temps à arpenter les terrains de padel au cours de la saison, et nettoie à vitesse grand V les vitres en plexiglas à chaque fin de set. En quelques secondes, le travail est fait, et il repart dans l’ombre, sans cape, sans masque, mais sous un tonnerre d’applaudissements.
Au cours du deuxième set, l’avantage se fait plus net et la paire Sanchez/Josemaría domine plus clairement les débats pour finalement s’imposer 6-4, 6-0. Paulita, l’actuelle numéro 1, exulte pendant de longues minutes.
Dans les allées de Roland Garros, en attendant le deuxième match, on peut entendre des : “On va voir avec la finale des hommes après, ce sont des brutes !”. Et effectivement, assez rapidement, la dimension physique de cette finale entre les deux meilleures paires au monde se fait ressentir. Coups entre les jambes, rebonds si violents en fond de court que la balle revient à l’envoyeur… ça part dans tous les sens.
Des différeces notables
Même si les joueurs de tennis frappent dans les mêmes balles que ceux de padel, celles-ci sont un peu dégonflées. La renvoyer dans sa propre partie de terrain n’est donc pas une stratégie simple à mettre en place. Autre différence : du fait de l’obligation de servir à la cuillère, il y a beaucoup moins de fautes au padel, et le jeu se poursuit donc très vite. Oubliez les préparations de Rafael Nadal et de Novak Djokovic, le padel, c’est du dynamisme pur.
Comme nous l’expliquent Cédric, Alexander et Céline, trois fans venus assister à l’événement : “c’est très ludique, ce sont des échanges qui sont à la fois courts et longs, il y a beaucoup de rythme, on prend beaucoup de plaisir.”
La bataille pour la suprématie
Pour cette finale, ce sont tout simplement les meilleures paires actuelles du padel qui s’affrontent. Alejandro Galán a par exemple été numéro 1 mondial sur trois saisons consécutives de 2020 à 2022, il est accompagné de Federico Chingotto, finaliste ici l’année passée. Face à eux, ils retrouvent Arturo Coello et Agustín Tapia, les champions en titre, qui venaient tout juste de remporter une 24e victoire de suite, un record.
Sur le court, la paire Coello/Tapia prend rapidement les devants et ne va jamais relâcher la pression. Malgré tout, le public est gonflé à bloc. Au terme de la première manche, conclue sèchement 6-2, il se lance dans une ola et, ne voulant plus s’arrêter, oblige les joueurs à patienter.
Le deuxième sera encore plus expéditif, terminé sur un rapide 6-1, mais qu’importe, en sortant, le public semble conquis, d’autant que les tarifs étaient relativement bas : “À 25 balles, c'est pas mal ! C'est très accessible”. Même si l’événement est officiellement terminé, de nombreux fans mettent à contribution les barmen équipés de “tireuses à bières sac-à-dos”, l’ambiance est plus que joviale. Et à la sortie, c’est toute une colonie de passionnés de la balle jaune qui fait la queue religieusement pour s’engouffrer dans le métro : “Il y a plus de monde qu'aux jeux olympiques !" s'exclament certains. On en est pas sûr, mais en tout cas, avec 64 000 fans sur la semaine, le padel a très clairement réussi à se faire une place au pays des mousquetaires.