Gaming
Comment PUBG inverse la tendance en Asie
Si PUBG est si bien implanté en Asie, et en particulier en Corée du Sud, c’est d’abord car il a été développé à Seoul. La création du jeu est une sacré success story : au début du développement en 2016, le studio Ginno Games opère dans un bureau à trois pièces avec 50 employés. Le studio recrute le génie du battle royale en tant que directeur créatif : Brendan Greene, aka PlayerUnknown. Il a développé un mod de battle royale sur Arma 2 qui est considéré comme la première graine de la tendance battle royale dans le milieu vidéoludique. Mars 2017, PUBG est un succès quand il sort en accès anticipé : le public découvre, dans beaucoup de cas, son tout premier jeu battle royale. Et avant-même sa sortie définitive en décembre 2017, il atteint un million de joueurs en simultané, dépassant Dota 2 et CS:GO. L’équipe s’agrandit et devient une force de 500 employés. Le battle royale ne quittera plus le Top 7 des jeux actifs sur Steam. En 2017, c’est le premier jeu du genre battle royale à connaître une popularité aussi fulgurante —avant d’être doublé par Fortnite en 2018, partout dans le monde… ou presque.
Car en Asie, la base de joueurs de PUBG n’a cessé d’augmenter. En février 2018, l’étude de Newzoo montrait que 52% des joueurs PC chinois jouaient à PUBG, et 32% en Corée du Sud… contre 1% pour Fortnite. La base de joueurs s’est encore agrandie depuis la sortie de PUBG sur mobile en mars 2018 : l’Asie est un continent où ce marché est le plus développé, en particulier la Chine (où il se nomme Game for Peace et efface une partie de la violence), et PUBG prévoit de lancer sa scène esport sur cette plateforme avec une ligue officielle en 2020. Le nombre de téléchargements et de joueurs actifs dépasse même celui de Fortnite mobile, avec plus de 200 millions de joueurs et déjà plus d’un milliard de dollars de bénéfices.
Un jeu coréen qui s’impose dans les cybercafés
En Corée du Sud, le joueur-type n’est pas sur mobile, mais sur PC et en ligne. Il ne joue pas chez lui, mais dans un cybercafé. C’est à la popularité d’un jeu dans les cybercafés que son succès dans le pays se mesure : « Le jeu vidéo a une place importante dans la culture coréenne, surtout chez les jeunes, car ils sont exposés à beaucoup de jeux. L’une des raisons est qu’il y a tellement de PC bangs [cybercafés] importants que cela devient un lieu habituel pour voir ses amis », nous explique Jake Sin, directeur esportif de PUBG Corp. « L’adolescent moyen coréen joue au PC après les cours dans un PC bang pour voir ses amis. » Selon cet indice, PUBG se place en haut des jeux les plus joués depuis sa sortie : il se place actuellement en seconde position, juste derrière League of Legends.
Jake Sin nous explique qu’il est difficile de se faire une place sur le marché : « En Corée, quelques jeux seront très dominants par rapport aux autres. Certains peuvent devenir un peu populaires, mais ratent le coche puisque les joueurs restent simplement ensemble sur un autre jeu. » Sortir un jeu là-bas, c’est un peu du tout ou rien, donc. Si le jeu n’a pas une proposition assez forte, il restera à l’état de niche, mais s’il arrive à changer les habitudes des joueurs, l’effet de mode le propulsera très haut. PUBG a surmonté ce défi. Comment ? Pour Jake Sin, le secret de son succès repose sur la réussite de son lancement : « PUBG est devenu très populaire très vite, et il est parvenu à atteindre cette popularité de masse, ce statut de jeu tellement populaire que tout le monde y joue ». Et une fois que les joueurs l’adoptent, c’est pour du long-terme. C’est ainsi que League of Legends n’a pas bougé de son statut de numéro 1 depuis des années, et que StarCraft II est encore aujourd’hui dans le Top 15 en cybercafé, 21 ans après la création de la licence.
Un battle royale taillé pour l’esport
L’autre argument de PUBG est qu’il est le plus compétitif des jeux du genre battle royale aujourd’hui. Jake Sin nous le décrit ainsi : « C’est un battle royale qui est plus lent et plus réaliste que les autres. Je pense que le fait de rester fidèles à cette identité est ce que les fans aiment ». Sur ce battle royale plus qu’ailleurs, il est pratiquement impossible de faire un Top 1 sans être très bon. La visée et la stratégie occupent une place importante dans le jeu et les erreurs ne se pardonnent pas.
Dans un pays comme la Corée du Sud, c’est une réelle valeur ajoutée pour un jeu vidéo : historiquement, c’est dans ce pays que l’esport est arrivé aussi tôt, et où il est le plus implanté aujourd’hui. Il est le premier à avoir eu sa fédération esportive (la KeSPA, fondée en 2000), des diffusions à la télévision (aussi depuis 2000 avec la chaîne OGN) ou encore des sponsors non-endémiques (comme SK Telecom, sponsor depuis 2003 avec StarCraft, puis League of Legends). L’esport le plus populaire au monde, League of Legends, est le jeu le plus populaire en Corée du Sud. Il est suivi de PUBG, puis Overwatch, où les joueurs sud-coréens dominent la scène compétitive.
L’excellence sud-coréenne
Début août s’est déroulée la Coupe des Nations à Seoul, sur PUBG. L’événement a rassemblé 16 équipes constituées selon la nationalité des joueurs, avec évidemment, une équipe de Corée du Sud au rendez-vous. Malgré le cashprize conséquent de 500 000$, PUBG Corp. ne l’a pas vendu comme un événement grandiose. Et pourtant, la Jangchung Arena, salle de 4 500 places, était complète. La scène compétitive de PUBG est très active en Corée du Sud, en particulier dans son vivier de joueurs amateurs. Les chaînes de cyber-cafés organisent très souvent des tournois locaux, comme nous l’affirme Jake : « les PC bangs font les tournois les plus prévalents avec un prix modeste à remporter, et d’autres sont organisés par des structures. Mais PUBG demande une grande infrastructure car ce sont 100 joueurs sur une même partie. C’est actuellement une barrière. Mais comme le battle royale, et PUBG en Corée, sont populaires, c’est une communauté très active dans le pays ». À la PUBG Nations Cup, nous avons retrouvé ces joueurs dévoués, mais pas seulement. Beaucoup de fans d’esport s’y sont rendus pour soutenir l’équipe de Corée du Sud sans être joueurs eux-mêmes ; comme un supporter irait soutenir une équipe de basket ou de foot sans en être réellement fan. L’esport en est rendu à ce niveau de popularité.
Le niveau des sud-coréens sur PUBG est aussi un point d’intérêt pour les fans. Comme dans beaucoup de disciplines, ils raflent tous les titres internationaux et font partie des meilleurs joueurs au monde sur le battle royale. En Corée, « les meilleurs joueurs de PUBG sont des stars : beaucoup de fans suivent les joueurs en match et dans la PUBG Korean League pour avoir un autographe ou un fan-meet », nous explique Jake Sin. Et à la Coupe des Nations, on rencontre de nombreux fans venus soutenir l’équipe de Corée du Sud sans être eux-mêmes joueurs, comme Sujin, étudiante de 20 ans : « On vient pour soutenir nos joueurs sud-coréens. Mes joueurs préférés sont dans cette équipe, ils sont très célèbres, surtout les joueurs de Gen.G. Ils ont pris la première place de la ligue PUBG, et les autres joueurs ont pris la 2e et 3e place. Donc ils sont très connus et ont beaucoup de fans ». En définitive, ce n’est pas les sud-coréens qui remporteront le tournoi puisque la Russie les surpassera dans un dernier match plein de suspense. Mais cela n’enlèvera rien au soutien des fans pour ses représentants ; Loki, Pio, Inonix et Aqua5.
Le succès de PUBG dans le pays ne s’explique pas seulement par la stratégie de l’éditeur, mais aussi par sa place dans le marché vidéoludique sud-coréen, qui en révèle beaucoup sur la culture du pays. Loin du monopole de Fortnite en Europe, PUBG a de beaux jours devant lui. Mais d’un point de vue esport, il doit encore faire ses preuves, et l’organisation de son tout premier mondial en novembre prochain, le PUBG Global Championship, sera une étape cruciale !