Musique
Genre marginal à ses débuts, le rap français est longtemps resté réservé à une frange minoritaire des auditeurs de musique. À la fin des années 1980, les fans de Lionel D ou Nec Plus Ultra étaient de purs passionnés d’une culture totalement inconnue du grand public. Au début des années 1990, le genre s’est démocratisé et des groupes comme IAM, NTM ou les Little MC ont pu toucher un panel plus large, tandis que MC Solaar ou Benny B signaient les premiers hits du rap français.
Progressivement, le profil-type de l’auditeur de rap français a évolué. Les passionnés de la première heure ont vu arriver un public plus jeune, moins préoccupé par la préservation de la culture hip-hop. Le rap est devenu une manne financière importante pour l’industrie du disque et toute une économie s’est développée autour de cette musique. Aujourd’hui, elle est entrée dans les mœurs : le rap est plus vendeur que jamais et on ne compte plus les partenariats entre artistes et grandes marques. Pour vous en rendre compte, faites une pause dans votre lecture : vous êtes sur le site de Red Bull en train de lire les résultats d’une étude sur le rap. Après cet article, vous irez peut-être regarder un épisode de Rap Jeu ou écouter un freestyle Red Bull Spinner.
L’étude Red Bull x Sacem a tenté de répondre à cette question : qui écoute du rap aujourd’hui ? À première vue, la réponse paraît très simple : absolument tout le monde écoute du rap, et même chez les plus âgés ; vous avez forcément déjà entendu une réflexion du type « je n’aime pas le rap, mais [insérer le nom d’un rappeur grand public], c’est pas si mal ». 1713 auditeurs ont été sondés, de sexes, générations et provenances géographiques différentes, afin de mieux appréhender le visage du public rap français.
Profils des auditeurs de rap
© Étude Red Bull x Sacem, 2021 Source : Sondage réalisé par Red Bull x Sacem sur 1713 personnes, 2021
Une partie de notre étude se concentre sur les réponses des 14-24 ans (qui représentent 57 % des sondés). Il est assez étonnant de constater que malgré un panel très jeune, plus de 2 auditeurs sur 3 écoutent du rap depuis au moins 10 ans. Beaucoup d’enfants grandissent donc avec le rap, dès qu’ils sont en âge d’écouter de la musique et en écoutent sans même le savoir. On compte évidemment sur le sens des responsabilités des parents : les couplets d’Alkpote ou de Kaaris ne sont pas vraiment adaptés aux oreilles d’un enfant qui sort à peine de maternelle – ou alors, il faut que vous soyez capables de répondre avec pédagogie à des questions du type : « papa, pourquoi le monsieur il dit qu’il enfonce son gros doigt de pied ? » (bon courage…).
Les auditeurs néophytes, ceux qui ne sont là que depuis 1 à 3 ans, ne représentent qu’une petite portion du panel. Il s’agit d’un changement important dans l’histoire de la musique en France : en comparaison avec les premières générations d’auditeurs de rap au début des années 1990, les rapports de force sont inversés. Un collégien qui ne connaîtrait pas Koba LaD ou Ninho serait aujourd’hui dans la marge par rapport à l’écrasante majorité de ses camarades. Il y a trente ans, avoir la compilation « Rapattitude » dans son baladeur-cassette faisait de toi une exception, et il fallait beaucoup de chance pour trouver un camarade qui partageait les mêmes goûts musicaux.
Une autre partie de notre étude est révélatrice de la manière dont le rap entre dans la vie des jeunes auditeurs. La multiplicité des réponses prouve que le genre est désormais infiltré dans tous les aspects de la vie quotidienne. Il s’agit évidemment d’une musique à la portée sociale importante, puisque 1 auditeur sur 3 l’a découvert grâce à (ou à cause de, selon le point de vue) ses amis. C’est une donnée primordiale : les jeunes échangent beaucoup au sujet de la musique qu’ils écoutent, et si les réseaux sociaux, la communication à grande échelle, les opérations promotionnelles, ont leur importance, le principal moyen de transmission reste bien le bouche-à-oreille entre potes. La famille a également une importance majeure : 1 jeune sur 5 a découvert le rap par ses proches. Longtemps resté très générationnel, le rap était la musique que les adolescents écoutaient en opposition aux goûts musicaux plus traditionnels des parents. Aujourd’hui, ce sont les parents qui font découvrir cette musique à leur progéniture, parfois dès leur plus jeune âge.
Focus sur les 14-24 ans
© Étude Red Bull x Sacem, 2021 / Source : Sondage réalisé par Red Bull x Sacem sur 1713 personnes, 2021
Interrogée avec d’autres professionnels dans le cadre de cette étude, Narjes Bahhar, responsable éditoriale du rap chez Deezer, confirme les conclusions de notre sondage : « Le rap est une musique très populaire chez les jeunes qui sont très consommateurs de streaming, même si le public du rap français est relativement varié. Sur les audiences des playlists chez Deezer, on a un public entre 18 et 35 ans ». De son côté, Oumar Samaké, directeur de labels (SPKTAQLR, Golden Eye Music), producteur et manager (Lacrim, Dosseh, Dinos), pense différemment : « Je ne crois pas que le public du rap soit uniquement constitué de jeunes comme on le dit parfois. Au contraire, ce qui est intéressant, c’est que plusieurs générations en écoutent. J’ai 38 ans et j’ai grandi avec le rap qui existait déjà quand j’étais adolescent. Aujourd’hui les gens de mon âge sont parents, ont grandi avec le rap et ils font grandir leurs enfants avec cette musique. Le public du rap est aujourd’hui multigénérationnel ».
Finalement, tous deux témoignent de deux facettes d’une même pièce : le rap est un genre désormais largement trentenaire, regroupant plusieurs générations, à différents degrés. Il est en revanche certain que le jeune public est le plus touché et constitue le réservoir d’auditeurs le plus important, puisqu’il a grandi dans un contexte où le rap est la musique dominante. Surtout, le rap actuel est tellement varié qu’il permet à chacun de trouver son bonheur. Narjes, qui a une vue précise sur la question étant donné sa position chez Deezer, nous détaille cette répartition : « Sur le rap dit « de rue », le public est plus masculin, et sur des variations comme l’afro-pop ou le r’n’b à la française, on a un public un peu plus féminin. C’est pour cette raison que l’on construit des playlists différentes parce que l’on a des audiences mélangées. On peut avoir d’un côté un public qui va découvrir le rap avec Georgio et qui en même temps va écouter Pomme ou Clara Luciani, et de l’autre un autre qui n’écoute que Booba, Damso, Sofiane ou SCH. Par ailleurs, de plus en plus de titres rap deviennent grand public comme « Ne reviens pas » de Gradur et Heuss L’enfoiré ou « Bande organisée ». Là encore, il convient de nuancer le propos : malgré ces dominantes, bien réelles car chiffrées, rien n’empêche une partie du public féminin d’être fan de rap de rue, ou un auditeur de Clara Luciani de connaître par cœur les albums de Sch » – et c’est d’ailleurs le cas de l’auteur de cet article, y’a quoi ?.