En 2009, l'écurie Red Bull Racing remporte sa première victoire en Formule 1 au Grand Prix de Chine.
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F1

Mais au fait, comment Red Bull est arrivé en F1 ?

En 2004, le fondateur de Red Bull Dietrich Mateschitz rachète Jaguar Racing en échange d'un dollar symbolique et la promesse d'un investissement conséquent. Le reste appartient à l'histoire.
Écrit par Etienne Caillebotte
Temps de lecture estimé : 7 minutesPublié le
Tout commence par une rencontre entre deux hommes, encore à l'aube de leur carrière mais qui marqueront l'histoire de la discipline. Le premier s'appelle Gerhard Berger, deviendra pilote pour McLaren et Ferrari et comptabilisera dix victoires en F1. Le second s'appelle Dietrich Mateschitz et vient de fonder l'entreprise Red Bull. Nous sommes le 18 août 1985, dans le paddock de l'Österreichring et l'intérêt que porte, au départ, le pilote autrichien au discours de son interlocuteur est relatif. Le deal ? Qu'il devienne le premier athlète sponsorisé par sa marque dont le produit, pas finalisé, n'est commercialisé qu'en Autriche. « Il n'avait pas encore créé de société, rembobine Gerhard Berger dans les colonnes du Red Bulletin. Il n'avait pas vraiment d'argent non plus, mais il promettait de m'offrir la somme « colossale » de 10 000 dollars. J'ai levé les yeux au ciel (intérieurement) parce que cette somme ne vous menait nulle part en Formule 1, même en 1985. »
Mais la conversation avançant, le pilote se montre de plus en plus sensible à la rhétorique de l'entrepreneur : « dès le départ, il y avait quelque chose qui me plaisait chez lui et plus il parlait, plus j'aimais ce que j'entendais. Il était enthousiaste et convaincant ». Résultat, Gerhard Berger devient le premier pilote sponsorisé par la marque au taureau rouge en 1989. Et Dietrich Mateschitz pose le pied dans une discipline qu'il affectionne et où il connaîtra un succès fou avec sa propre écurie : Red Bull Racing. Rappel des faits.
Le fondateur de Red Bull Dietrich Mateschitz en compagnie du pilote de F1 Red Bull Racing Daniel Ricciardo.

Dietrich Mateschitz en compagnie de Daniel Ricciardo

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Avant de devenir l'une des écuries les plus performantes de l'histoire récente de la F1, Red Bull assume d'abord un rôle de sponsor pour des écuries de fond ou milieu de grille comme Arrows, Sauber ou Jaguar. En 1995, Dietrich Mateschitz passe à la vitesse supérieure en devenant actionnaire majoritaire de la holding détenant Sauber. Dès lors, les monoplaces arborant le logo de la marque s'affichent sur les podiums de la catégorie reine. En parallèle, l'infatigable entrepreneur monte un projet avec Helmut Marko, autre compatriote rencontré dans le paddock : une filière de jeunes pilotes baptisée Red Bull Junior Team. L'objectif ? Former les futurs cadors du sport automobile et peut-être, à terme, les faire courir dans son écurie.
« Lorsque nous nous sommes rencontrés pour la première fois, il n'avait pas de budget pour se lancer mais Red Bull n'a cessé de grandir et il semblait naturel de nous réunir » se souvient le consultant autrichien. C'est d'ailleurs ce désir conjoint de « caser » des pilotes, issus du cru, chez ses partenaires qui précipite la fin du deal entre Red Bull et Sauber. En 2001, les deux hommes poussent pour la titularisation du Brésilien Enrique Bernoldi, mais Peter Sauber s'y oppose. Car en face, le concurrent n'a que 21 ans, ne possède pas de Super Licence mais a un talent fou. Son nom ? Kimi Räikkönen. « Que l'actionnaire majoritaire ait son mot à dire s'entend, déclare-t-il à l'agence de presse Reuters. Mais on ne peut pas avoir deux personnes qui dirigent une écurie. C'est pourquoi la coopération avec Red Bull prendra fin à la fin de l'année 2001." Enrique Bernoldi est finalement enrôlé par Arrows et Dietrich Mateschitz peut, désormais, se consacrer à l'ambition de sa vie : devenir propriétaire d'une écurie. Son écurie.
Le pilote Red Bull Racing Max Verstappen discute avec Helmut Marko pendant le championnat du monde de F1.

Helmut Marko et Max Verstappen, sa plus belle trouvaille

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I need a dollar

Avance rapide jusqu'en septembre 2004 : après cinq saisons anonymes où ses pilotes titulaires n'engrangent que 49 points en 85 départs, Ford débranche officiellement Jaguar Racing. L'éphémère structure, née sur les cendres de Stewart Grand Prix au début du millénaire et qui n'a enregistré que deux podiums, annonce se mettre en quête d'un repreneur. L'occasion est trop belle : Dietrich Mateschitz qui, quelques années auparavant, considéraient sérieusement la possibilité de racheter et « américaniser » Arrows, s'invite à la table des négociations. L'affaire est réglée en échange d'un dollar symbolique, mais surtout la promesse d'investir environ 400 millions de dollars lors des trois prochaines saisons. « J'ai toujours dit que l'investissement le plus économique en Formule 1 était d'acheter une écurie, souligne le milliardaire autrichien à The Independent. La responsabilité et les dépenses viennent après ». Une hypothèse confirmée par Christian Horner, ancien pilote de 31 ans propulsé - à la surprise générale – au poste de directeur de cette nouvelle équipe après avoir enchaîné des performances de haut-niveau aux manettes d'Arden Motorsport en F3000 : « Nous avons un budget raisonnable étant donné la situation, mais on n'a jamais assez d'argent, glisse-t-il au Guardian. Donnez dix livres à un ingénieur et il en dépensera vingt ».
Christian Horner est le directeur de l'écurie F1 Red Bull Racing depuis 2005

Christian Horner, directeur de l'écurie depuis 2005

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Scepticisme, conservatisme et investissements d'avenir

Malgré la promesse d'un gros investissement et la préservation de l'ADN de Jaguar Racing, des moteurs Cosworth à l'usine de Milton Keynes dont on prédit, un temps, la délocalisation en Autriche, un certain scepticisme règne dans le paddock. « Ils se demandaient comment une entreprise commercialisant des boissons énergétiques pourrait réussir là où Ford avait échoué » rappelle Mark Gallagher, ancien directeur marketing de Jaguar à Motorsport.com. Dans un papier publié sur le site d'ESPN, le journaliste Michael Kelly résume le sentiment qui prédomine, à l'époque, dans ce milieu parfois taxé de conservatisme : « Certains considéraient [que Dietrich Mateschitz] utilisait le sport comme une plate-forme marketing pour promouvoir son produit, sans se soucier des résultats sur la piste, écrit-il. L'idée qu'un propriétaire novice, ancien sponsor, utilise les monoplaces comme des panneaux publicitaires a dû gêner les autres propriétaires d'écuries. »
L'Écossais David Coulthard est l'un des premiers pilotes de l'écurie Red Bull Racing en Formule 1.

David Coulthard, l'un des premiers pilotes de Red Bull Racing

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Pourtant, les grandes manœuvres en interne brisent le mythe de l'écurie « panneau publicitaire ». La première saison, Red Bull Racing associe son « pilote maison » Christian Klien, issu de la filière, au vétéran David Coulthard, comptabilisant 13 victoires en Grand Prix et remercié par McLaren. Au Grand Prix d'Australie, le duo prouve qu'il ne fera pas de la figuration : 4e place pour l’Écossais, 7e place pour l'Autrichien. En fin d'exercice, Red Bull Racing comptabilise 34 points et pointe à la septième place du classement constructeur. Soit trois fois de points plus que Jaguar Racing la saison précédente. « Il est très clair que [Red Bull Racing] représente bien plus qu'un exercice marketing, relève David Coulthard, jugeant qu'une victoire en Grand Prix, dès la saison suivante, «n'a rien d'impensable ». Les premières éclaboussures de champagne viendront plus tard, mais deux événements majeurs propulsent l'écurie de Milton Keynes, dès 2006, dans une autre dimension.
Le premier ? Le rachat de Minardi pour donner naissance à la Scuderia Toro Rosso (AlphaTauri aujourd'hui). Une écurie « soeur » à Red Bull Racing dont l'objectif est clair et affiché : donner une chance aux espoirs du Junior Team. « Nous avons plus de pilotes que de baquets, explique sobrement Dietrich Mateschitz au moment du rachat. Nous avions deux solutions : trouver des places pour nos talents dans d'autres écuries ou augmenter notre nombre de baquets (en rachetant une écurie, ndlr). Nous avons opté pour la seconde, simplement car nous pouvons tout contrôler ».
Red Bull Racing a recruté Adrian Newey. L'ingénieur « superstar » de la Formule 1, dont les monoplaces révolutionnaires ont décroché six titres pilotes et constructeurs dans les nineties.

Adrian Newey, ingénieur « superstar » du paddock

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Mieux encore : en novembre, Red Bull Racing annonce, dans un communiqué, le recrutement d'Adrian Newey. L'ingénieur « superstar » de la F1, dont les monoplaces révolutionnaires ont décroché six titres pilotes et constructeurs dans les nineties. « Pour nous, c'est un recrutement majeur » jubile, à l'époque, Christian Horner. « Si j'avais le choix entre Adrian Newey et Michael Schumacher, je choisirais Adrian à chaque fois ». Il a vu juste : le Britannique sera l'un des grands artisans des quatre premiers titres mondiaux de Red Bull Racing entre 2010 et 2013. Des voitures pilotées par un certain Sebastian Vettel.... Pilote repéré à 11 ans et intégré à la filière en 1998. Le hasard n'existe pas.