Ring Fit Adventure est le meilleur du jeu vidéo de sport du moment ?
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Ring Fit Adventure, l’aboutissement du sport en chambre ?

Quand exercice et gaming vont de paire. Petite histoire de l’exergaming, le jeu vidéo de sport où ce dernier se trouve de votre côté de l’écran.
Écrit par Benjamin Benoit
Temps de lecture estimé : 13 minutesPublished on
Peut-être que Ring Fit Adventure est le meilleur jeu « de sport » du moment. Mais il finira par avoir raison de moi. Il y a deux catégories de jeux de sport. Ceux qui vous font revivre des évènements sportifs avec une bonne bande-son et qui, au maximum, vont vous muscler en vous faisant taper sur des boutons - merci la série des Track & Field - les autres proposent de réellement remuer sa carcasse devant son écran. La deuxième catégorie est sans doute la plus intéressante, car en plus de nous faire bouger le popottum, elle se lie aussi à l’histoire des accessoires de jeux vidéo.
Mais Ring Fit Adventure, c’est le boss final. Tous les autres, c’est de la gnognotte. Une seule séance de RFA envoie au tapis - ce jeu n’a aucune pitié, mais c’est aussi l’aboutissement d’un long processus qui cherche à ludifier l’effort. Nintendo, après son inénarrable quête de nous faire socialiser via nos consoles - de préférence avec des moyens toujours plus contre-intuitifs - veut nous remettre en selle et y met les formes, dont acte.
Le rituel, si toutefois vous vous y pliez, doit être quotidien ou le plus régulier possible. Faire de la place, bien vérifier que le monde extérieur ne verra pas un si piètre spectacle, et prendre l’accessoire idoine : un « Ring-Con », inspiré d’un anneau qu’on utilise pour le Pilates, discipline dédiée au renforcement de la ceinture abdominale. Mais les Joy-Con, deux manettes détachables de la Switch, permettent de garnir le concept. On attache le Joy-Con droit sur le haut de l’anneau, et le gauche et sanglé au-dessus de votre genou gauche. Le jeu peut donc reconnaître la position de l’anneau, et détecter à quel point vous poussez ou tirez sur les extrémités. Joueurs aux petits bras : soyez prévenus, vous rentrez maintenant dans un monde de douleur.
Après avoir rentré vos quelques données personnelles et choisi un mode de difficulté (ici nommé « intensité ») initiale, vous vous lancez dans une aventure dont les graphismes sont, croyez-le ou non, largement meilleurs que le dernier Pokemon. Vous êtes un héros en tenue de sport qui sort un anneau magique de sa torpeur, et qui l’utilisez pour vaincre Drogo, le dragon aux pectoraux saillants. Drogo a un marcel, Drogo fait des milliards de pompes, Drogo ressemble à un jeune startuppeur qui soulève de la fonte pour cacher ses complexes.
Dans le jeu vidéo, Ring Fit Adventure vous êtes un héros en tenue de sport qui sort un anneau magique pour vaincre Drogo, le dragon aux pectoraux saillants.

Le dragon Drogo du jeu vidéo de sport Ring Fit Adventure

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Vous l’affronterez à chaque fin de monde et le scénario n’est pas vraiment d’importance dans le jeu. Et pour le rejoindre, il faut arpenter des niveaux classiques, qu’on parcourt - littéralement - puisqu’il faut courir sur place pour franchir telle distance. C’est pourquoi vous avez un joy-con attaché à la jambe, qui détecte votre foulée et qui vous demande de bien lever les genoux si vous franchissez des escaliers ou courez sur un tapis roulant et les pieds dans l’eau. Une épreuve en soi, auquelle se rajoute la maniabilité de l’anneau, qui reproduit vos mouvements. Nintendo a trouvé un maximum d'astuces pour utiliser vos bras. En le poussant vers l'intérieur, vous provoquez une attaque. Le tirer aspire les pièces et l'environnement. Maintenir une pression vous fait planer (et croyez-moi : la première fois que vous le pressez au-dessus de votre tête sera une épreuve inattendue).
On ne recule pas et le jeu se permet de créer des collectibles et des bifurcations. En gros, vous êtes le héros d’un runner, et vous le ressentez physiquement. La bienveillance du titre est à deux vitesse : si vous vous faites occire à la toute fin d’un boss interminable parce que vous n’avez pas eu la courtoisie de préparer cinq smoothies-potions au préalable, eh bien c’est tant pis, il faudra le refaire.
Mais ça, c’est peu ou prou ce que proposaient les titres Wii Fit, avec un accessoire en plus. Là où la ludification intervient, c’est dans le genre de Ring Fit Adventure, qui peut se vanter d’être un JRPG de sport. En pleine course, vous affrontez des monstres en effectuant un panel grandissant de mouvements de fitness ou de yoga.
Dans le jeu de sport Ring Fit Adventure, vous êtes le héros d’un runner, et vous le ressentez physiquement.

Vous êtes le héros d’un runner

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Plus les exercices sont amples, plus vous faites des dégâts aux affreux, et un système de pierre-feuille-ciseaux se rajoute bientôt à l’équation. Les efforts sont immédiatement récompensés et en proportion. Bienveillant, le jeu vous inonde d’encouragements - parfois un peu trop. La précision des mouvements captés est très satisfaisante, et chaque pression sur l’anneau est se sent et se fait sentir, surtout contre le boss du chapitre qui peut être long comme un « vrai » boss de JRPG. (Ce qui appelle à une question importante : quid du speedrun de Ring Fit Adventure ? L'AGDQ 2020 approche et il n'est pas au programme, c'est regrettable)
Voilà pour la boucle de gameplay. Les combats font gagner de l’expérience, l’expérience fait monter l’attaque et la défense (qui sert lorsque les monstres passent à l'offensive. On se protège grâce à la puissance de nos abdos), les chiffres grimpent, et le titre agrémente son concept à partir de là, en le nourrissant d’exercices et mini-jeux supplémentaires. Le tout frappe par son souci du détail improbable pour un tel genre.
Les combats font gagner de l’expérience dans le jeu vidéo de sport Ring Fit Adventure sur Nintendo Switch.

Les combats font gagner de l’expérience

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La bande-son et le design évoquent ceux de la série Splatoon, le jeu est pétri de bons conseils et de rappels sur l’alimentation et l’hydratation, quitte à adopter une attitude un peu paternaliste. « Votre corps est un temple », etc., on a qu’un seul corps et il faut en prendre soin, c’est marqué sur la boîte. Mais c’est justement la philosophie du jeu : pour toute la famille, tous les publics, toutes les physionomies, mieux vaut trop d’explications et de détails que pas assez. Il ne manque qu’une seule option qui semblerait nécessaire : pouvoir déterminer un programme quotidien avec des activités définies, mais le jeu vous propose de tripoter votre anneau passivement en faisant autre chose, des tractions à convertir en expérience, pour soi ou pour offrir. Donnez vos efforts physiques à l’un de vos amis Switch, demain le monde !

Petite histoire de l’exergaming

Ring Fit est donc le stade le plus évolué de la ludification du sport, souvent porté par Nintendo. Les fans ont leur propre musée d’accessoires utilisés quelques mois, puis remisés en attendant le prochain bon titre. Mais pas besoin de se tourner vers le jeu vidéo pour rejoindre sport et amusement. Retour en 2012, Zombies, Run! Ici, on parlera plutôt de réalité augmentée - pour donner un peu de piment à vos sessions de course. Des scénarios audio vous narrent une vague invasion zombie de laquelle vous devez perpétuellement échapper. Quand on vous dit de courir, d’accélérer ou de vous reposer, vous le faites. Tout ce qu’il faut, c’est un smartphone. Cette application date de 2012, mais difficile de faire grand-chose de plus avec un « bête » téléphone portable. C’est une dérivation de ce que Nintendo persiste à proposer en ludifiant la marche ; avec ses pièces sur 3DS, ses Pokémons à ballader sur HeartGold/SoulSilver. C’est aussi ce qui a contribué à inspirer des applications comme Pokemon Go! ou Ingress, une conquête de territoire virtuelle qui encourage à mettre un pied devant l'autre au lieu de rester sur le canapé.
Les plus masochistes peuvent arriver à un stade où la majorité de leur temps libre devient un programme quotidien. En témoigne l’un des succès de niche (plus au Japon qu’en France) de l’année 2018, Fitness Boxing.
Une année plus tard, ce jeu et son contenu moindre permettent de faire la différence entre un jeu juste publié par Nintendo, et un jeu publié et conçu par Nintendo comme Ring Fit. Lui cultive la simplicité, et une mécanique de gameplay basique : un Joy-Con par main pour simuler un gant de boxe, et chaque mouvement à faire est timé comme dans un jeu de rythme. L’apprentissage est progressif au fil des jours : direct, crochet, jab, puis bientôt les déplacements dans l'espace et les esquives. Les enchaînements deviennent plus complexes, soutenus, et les plus persévérants peuvent doubler la vitesse ou la durée des séances.
Si, il y a un an, Fitness Boxing pouvait passer pour un outil amusant, il fait pâle figure en comparaison de Ring Fit, qui permet de faire de la cardio ET des muscles, et le premier ne propose pas de programme algorithmique. La reconnaissance des Joy-Con est, étrangement, bien plus parcellaire que le titre développé par Nintendo. Vous vous y remettez après plusieurs mois de pause ? On vous embarque directement où vous vous êtes arrêtés, ce qui provoque une rupture importante dans l’effort à faire. Pas idéal si l’on cherche un coach virtuel, sinon quelques personnages un peu angoissants en 3D qui sont là pour vous dire quoi faire.
Posie, le mannequin du jeu vidéo de sport Ring Fit Adventure sur Nintendo Switch, finira-t-il dans un Smash Bros ? Vivra-t-il une romance avec l’entraîneuse Wii Fit ?

Posie, le mannequin de RFA, finira-t-il dans un Smash Bros ?

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Mais on ne pourra pas donner des tatanes dans le vide sans un accessoire qui capte les mouvements, en l’occurrence les Joy-Con. Et ils sont indispensables pour bien « certifier » que le joueur est bien en vie et se meut pour constituer un gameplay.
Mais ce n’est pas la première fois que Nintendo se soucie de notre santé, n’est-ce pas ? Il n’y a pas si longtemps, la Wii et la Wii U avaient leur propre accessoire, un peu plus direct sur ses intentions. La Wii Balance Board, une protobalance connectée ; même si elle ne pouvait pas vous sortir votre masse osseuse ou musculaire, tout son fonctionnement était centré autour de votre centre de gravité, et les exercices les plus faciles sont aisés à reproduire hors de l’accessoire. Mais c’est ce rendez-vous virtuel, cette ludification, qui est importante. Wii Fit vous vend de la volonté, quelques encouragements, et des vidéos de référence. Et le jeu, lui, est probablement ce qui a été le plus vendu de cette histoire avec plus de 22 millions d’unités écoulées.
Ce n’est probablement pas un bon outil pour perdre du poids, mais ses mini-jeux d’équilibre et son module de course sont un bon prototype de Ring Fit. Et Nintendo a jugé le titre assez iconique pour l’inclure dans ses anthologies Smash Bros à l’inverse de, au hasard, Monita de Nintendo Land.
On remonte dix ans plus tôt, avec une manière de penser différente pour concevoir un tel jeu. Peut-être vous souvenez-vous de la caméra l’Eye-Toy, sur Playstation 2. Contrainte habituelle : avoir de la place devant sa télé. Mais cette fois, la raison est différente. Le jeu vous filme, vous donne votre propre retour à l’écran (il faut donc jouer quand les autres sont en thalasso pour éviter honte et jugements) et les contrastes de l’écran, donc vos mouvements, servent de base aux interactions proposées. En l’occurrence, une tripotée de minijeux assez rigolos.
Une capture d'écran des résultats du jour dans le jeu vidéo de sport Ring Fit Adventure sur Nintendo Switch.

Résultats du jour

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Nous sommes en 2005 quand sort Eye Toy Kinetic. Vendu avec un simili fish-eye à fixer sur la caméra, il s’avère souvent indispensable. Il n’y a pas moyen d’y échapper : il doit capter la majorité de votre corps, et vous devez avoir beaucoup d’espace autour de vous - abandonnez vos espoirs de rétrogaming dans votre cage à poules. Pour les autres, jetez-vous à corps perdu dans une expérience bizarrement avant-gardiste, qui fait tout bien et propose un gameplay assez touffu. Nul besoin de graphismes, juste d’une direction artistique qui ne va pas bien loin, et c’est parti pour un « programme » qui enchaîne des modules et exercices dont la difficulté s’ajuste à vos performances.
Là, il est complètement impossible de jauger de l’honnêteté de vos exploits ou des gains et pertes pour votre corps. C’est, dans l’histoire de ce genre, la meilleure tentative de proposer un véritable programme sportif, varié de surcroît. Cardio (faire des mouvements précis ou rapides), « combat » (DÉTRUIRE DES TRUCS !!), tonus (des exercices de renforcements musculaires), zen (cardio, mais en plus lent et en plus concentrés, comme faire une trajectoire saccadée avec un membre ou faire un jeu du Simon avec le corps). Pas beaucoup d’idées, mais suffisamment pour proposer quelque chose de simple et de réellement fun, qui donne envie de rallumer la console pour faire la session suivante.
Ce n’est pas le seul exemple de titre utilisant une caméra : Dance Central propose de débloquer un succès, très difficile à débloquer, si on atteint un quota de calories brûlées. L’arrivée de Kinect a levé une armée de clones d’éditeurs tiers, de préférence incarnés par la star du moment : qui ne rêve pas de mettre la main sur Michael Phelps Push The Limits ? Toi aussi, repousse les limites avec un sportif olympique sur la jaquette.
Et l’on peut remonter loin dans l’histoire du medium. Le Power Pad (1986) de la NES, conçu par Bandai et à utiliser avec le jeu Dance Aerobics a inspiré les tapis à la Dance Dance Revolution- pas des jeux de sports in fine, mais demandant de bouger son popotin par définition. Les bornes d’arcade « physiques » n’ont pas manqué. Dans Prop Cycle, on pédale sur un vélo d’appartement pour éclater des ballons dans un gameplay proche de Flappy Bird. Plus technique : un tapis roulant Sonic aux Jeux olympiques de salle d’arcade, où il faut en même temps appuyer sur un bouton pour sauter au 110 mètres haies. Pour l’instant, on ne peut pas mieux faire.

Tout ça pour quoi ?

Mais est-ce que tout ça a un effet quelconque sur le corps et l’esprit ? Dans l’appellation « exergaming », très peu de jeux sont réellement concernés. Ring Fit Adventure est sorti tout auréolé de bienfaisance : c’est une bonne alternative aux sports en salle, mais ils seront encore meilleurs en plus d’une activité contrôlée, disent les médecins interrogés. On est bien loin des programmes d’entraînements cérébraux du Prof. Kawashima qui n’ont rien prouvé du tout.
Le jeu vidéo Ring Fit Adventure sur Nintendo Switch est une bonne alternative aux sports en salle.

Pas d’inquiétudes, Ring Fit Adventure a réponse à tout

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Pour l’instant, les études universitaires sur le sujet se reposent sur un champ encore mal défini, mais le sport en chambre aurait - sans surprise - même quelques effets secondaires positifs. Des travaux chinois nommés “Les effets sociaux des jeux vidéos sportifs sur les personnes âgées” font le lien entre exergaming et épanouissement de la vie sociale ou, plus précisément, du sentiment de solitude, de sa réduction en général et pousse à être plus potable envers son prochain. Faire du sport rend bienveillant, ce n’est pas qu’un conseil de grand-mère. Le genre est bien trop parcellaire dans le temps et l’on manque de recul sur la question, mais une chose est sûre - cela ne peut pas faire de mal. Et Ring Fit Adventure est, indéniablement, un bon jeu vidéo et c’est l’essentiel.