Le Roi Protoss Zest pendant le tournoi StarCraft 2 des IEM Katowice.
© ESL
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Starcraft 2 : La Corée du Sud figée dans le temps

L’esport Starcraft 2 en Corée du Sud n’a plus la superbe qui était la sienne en 2013, mais il survit fièrement avec une originalité : aucun nouveau champion n’a émergé en 7 longues années.
Écrit par Kere
Temps de lecture estimé : 8 minutesPublié le

« Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître »

La période 2012-2014 marque l’apogée du Starcraft 2 dans le monde du sport électronique. Il y est le roi, s’appuyant sur le glorieux passé des RTS de Blizzard, Warcraft 3 et surtout Brood War, véritable phénomène en Corée du Sud, le jeu qui avait professionnalisé l’esport comme aucun autre auparavant. À cette époque, pas si lointaine, et pourtant tellement antique dans ce microcosme, League of Legends commence sa percée, DOTA 2 tente de le suivre, CSGO renaît de ses cendres grâce au réveil de Valve, Hearthstone n’existe pas, Overwatch non plus et le terme “Battle Royale” fait référence à un excellent manga et son adaptation cinématographique. Il n’y a qu’un jeu qui semble promis à un bel avenir, Call of Duty, éphémère, dont le succès repose sur des stars qui, elles, sont bel et bien restées, à l’image de BrokyBrawks et Gotaga. Les plus gros commentateurs sont sur Starcraft 2 : Day[9], Tasteless, Artosis, le regretté TotalBiscuit et le duo français à son apogée Pomf et Thud.
L’année 2013 est certainement la plus belle sur SC2. C’est celle d’Iron Squid 2, le plus familial, improbable et spectaculaire tournoi occidental sur le jeu, un événement aux audiences énormes qui s’est joué à un zergling près lors de la finale DRG - Life. C’est celle de la véritable arrivée des légendes de Brood War, emmenées par le plus populaire et doué d’entre eux, le très fantasmé Flash. C’est celle des espoirs du Français Stephano en Corée du Sud, pays où les meilleurs joueurs et les meilleures équipes s’y affrontent dans des tournois hautement réputés, où la GSL est le Saint Graal. C’est aussi celle où l’on imaginait le plus un décollage du jeu dans les hautes sphères de l’esport pour un avenir radieux.
Le célèbre joueur de Corée du Sud, Life a remporté le tournoi Iron Squid II en 2013.

Life vainqueur de Iron Squid II en 2013

© Kere

Faisons maintenant un saut dans le temps mon cher Marty, pour arriver à maintenant. 2020, Starcraft 2 n’est pas mort mais sa scène esport a la santé fragile. En expliquer les raisons n’est pas l’objet de cet article. Choix contestables, désinvestissement de nombreux acteurs économiques, désintérêt du public pour le genre RTS, départ des joueurs les plus médiatisés… Il y a tant à avancer. Malheureusement, l’excellent jeu esport qu’est Starcraft 2 n’est plus aux avant-postes, loin des cadors actuels. Se lamenter ne changera pas les choses. Les tournois existent toujours, le spectacle est toujours au rendez-vous et nombre de commentateurs doués sont encore fidèles au poste. Le circuit orchestré par Blizzard tient encore, là où celui de Heroes of the Storm n’est plus qu’un souvenir. Preuve que l’on abat pas si facilement un armée Zerg, Protoss ou Terran.
Oui, Starcraft 2 est toujours là, mais si on y regarde de plus près, on peut aussi constater, surtout en Corée, que le jeu survit avec les mêmes acteurs. Comme si rien n’avait changé.

On prend les mêmes et on recommence

Si vous suiviez attentivement la scène esport Starcraft 2 coréenne en 2013 et que vous êtes ensuite parti en mer à la recherche d’Atlantis pour revenir 7 ans plus tard, la surprise risque d’être au rendez-vous si vous jetez un oeil au GSL Super Tournament de mars 2020. Seize joueurs coréens étaient engagés. Premier constat, de nombreux noms sont absents : MMA, Mvp, DRG, Life, NesTea, MarineKing, TaeJa, Squirtle, ByuN, SymboL, ForGG, Soulkey, TOP, Bomber… La liste est longue et pourtant incomplète. La plupart ont tourné la page, pour diverses raisons, et c’est bien naturel, c’est le cycle de la vie, peu importe la discipline, qu’elle soit esportive ou sportive. Mais en regardant la liste des présents, une chose saute aux yeux : malgré vos 7 longues années loin du milieu, vous connaissez absolument tous les noms. Le vainqueur Maru, le Zerg prometteur Dark, le showman PartinG, la terreur terran INnoVation, le Poulidor soO, le vainqueur de la Blizzcon sOs, le Roi Protoss Zest...
Même les noms les moins clinquants, comme Armani, Cure ou Patience étaient déjà en GSL en 2012-2013. Le constat est assez simple : la Corée du Sud n’a sorti aucun nouveau joueur majeur sur Starcraft 2 depuis toutes ces années. Aucun. Certains ont pris du galon, profitant du départ de certaines étoiles, et progressant tout simplement, d’autres reviennent de manière sporadique, mais aucun illustre inconnu n’est sorti du bois pour atomiser les stars en place.
Les joueurs Trap, Dark, Maru et Solar faisaient partie du dernier carré du GSL Super Tournament sur StarCraft 2.

Le dernier carré du GSL Super Tournament

© Afreeca TV

Imaginez telle situation dans un sport classique. Le football de 2013 n’est plus celui de 2020. La NBA a vu apparaître des méga stars dans ce lapse de temps, de Giannis à Tatum en passant par Doncic ou Zion. Dans l’esport, c’est la même chose, y compris sur des scènes anciennes, reposant sur des légendes comme Counter Strike ou le Versus. Les meilleurs joueurs coréens de League of Legends de 2013 ne sont plus du tout les mêmes aujourd’hui, exception faite de l’OVNI Faker.
Pour le spectacle, cela n’est pas un problème : le niveau de jeu n’a pas baissé, les joueurs se sont adaptés aux différentes mises à jour, à l’évolution de la meta. Ils se sont réinventés et continuent de faire vibrer. Pour la pérennité de sa scène compétitive SC2, c’est déjà beaucoup plus délicat : qu’adviendra t-il des tournois, des fans, quand tout ce petit monde aura pris sa retraite et qu’aucune relève n’est au rendez-vous ?

Les raisons d’un non-renouvellement

Cette situation n’est pas le fruit du hasard ou d’un bug de la matrice. Les nouveaux joueurs coréens ne s’investissent plus corps et âme dans le RTS pour diverses raisons.
La première est la dureté du jeu. Starcraft 2 est un jeu terriblement exigeant, nécessitant un entraînement ardu, sérieux, physique, couplé à une lecture de jeu, une inventivité et une APM extrême. Il faut être multitache, avoir un oeil partout, planifier les minutes suivantes tout en gérant les actions présentes, imaginer la position de l’adversaire, ses futures attaques et investissements. Le tout, seul. Et de plus en plus seul. D’autres jeux sont aussi exigeants, mais la plupart propose de vivre cette expérience en team et avec bien davantage d’encadrement.
Le Zerg DongRaeGu n'en a pas terminé avec StarCraft 2.

DongRaeGu n'en a pas terminé avec SC2

© Kere

L’isolement est en effet l’autre souci que rencontrent les joueurs coréens voulant se lancer dans le grand bain. De la sortie de Starcraft 2 à 2014, la scène coréenne, diablement exigeante avec ses joueurs, était organisée avec des équipes qui ont presque toutes disparues. L’effectif comprenait une petite dizaine de joueurs en moyenne, des coachs et une gaming house insalubre bien souvent, avec petits salaires à la prime et un quotidien qui ne tournait qu’autour de SC2. La KeSPA, fédération étatique de sport électronique, avait fini par s’y investir avec des équipes majeures comme SK Telecom T1, KT Rolster ou CJ Entus, avant de tourner le dos au jeu. Aujourd’hui, Jin Air Green Wings est la dernière survivante de la grand époque. Afreeca Freecs, ex SBENU, a relancé la machine, tentant notamment de remettre DongRaeGu sur le devant de la scène. Elle soutient des très grands, comme Stats et soO, mais fait un peu figure d’exception.
Les joueurs coréens actuels, ceux qui sont déjà installés, sont donc dispatchés entre rares équipes nationales, plusieures équipes chinoises et l’Occident, avec un staff moindre et une situation plus précaire. Les teams actuelles donnent leur chance aux joueurs confirmés, jamais à ceux qui pourraient essayer de se lancer.
Imaginez donc, si le jeu nécessite un entraînement et un talent évidents et qu’il est difficile d’y être accompagné, où la jeune génération pourrait-elle puiser sa motivation pour faire carrière alors que d’autres jeux proposent un cadre plus confortable et surtout des gains plus grands ? Car, c’est là le dernier gros problème que rencontre SC2 en Corée du Sud, et même plus globalement à l’échelle mondiale : les audiences, la starification, le sponsoring et les cash prizes sont aujourd’hui bien plus importants ailleurs, sur League of Legends, CSGO, Fortnite, DOTA 2 et très probablement bientôt sur Valorant. Difficile de séduire dans ces conditions.
Les joueurs Rogue et Maru s'affrontent lors des IEM Katowice sur StarCraft 2.

Rogue contre Maru lors des IEM Katowice

© ESL

En Occident, ça bouge

Le non-renouvellement de la scène coréenne est criant mais un phénomène similaire n'apparaît pas vraiment chez les foreigners (joueurs non-coréens).
Si on regarde certains tournois occidentaux comme la StayAtHomestoryCup, très chouette version confinée de la célèbre Homestory Cup, ou l’OSC, on peut constater que plusieurs petits nouveaux pointent le bout de leur nez, comme le prometteur Polonais Gerald, le Croate goblin, les Russes SKillous ou Vanya... Des joueurs jeunes. Très précoce, le petit Français Clem continue de remarquablement progresser et enchaîne aujourd’hui les beaux résultats. Le renouvellement est là, bien que limité. Les anciens sont toujours présents, une bonne chose.
Reynor, joueur de StarCraft 2 italien.

L'Italien Reynor

© Red Bull

Un élément a tout de même changé, et pas des moindres : les joueurs occidentaux se sont rebellés. La scène sud-coréenne était incontestablement celle qui écrasait tout sur Starcraft 2. Maintenant, elle est sacrément chahutée. Si les Sud-Coréens gagnent la grande majorité des tournois majeurs, ils font face à des Européens bien plus coriaces qui parfois leurs distribuent des claques. Leurs noms ? Clem, justement, mais aussi Elazer, uThermal, Reynor, ShoWTimE et bien évidemment Serral, vainqueur de la Blizzcon, et vrai phénomène sur SC2.
Personne n’imaginait cela à l’époque où seuls Stephano ou NaNiwa pouvaient faire trembler les colosses coréens. Cette redistribution des cartes fait le plus grand bien au jeu, elle pimente le circuit professionnel. Les plus cyniques diront que ce n’est que la conséquence d’un affaiblissement du niveau coréen. Balivernes. Plusieurs occidentaux, Serral en tête, ont franchi un cap, jouent diablement bien, surprennent, défient les icônes sans complexe et c’est tant mieux. Il y a là un vrai motif d’espoir pour l’avenir de Starcraft 2.