À 33 ans, le parcours d’Ava Mind donne l’impression qu’elle a déjà cramé plusieurs vies. Streameuse affûtée, DJ survoltée, elle avance comme elle mixe : sans détour, ni pause.
Avant de prendre le contrôle des platines, c’est sur Twitch qu’elle a réussi à fédérer plus de 260 000 fidèles autour de son univers cyberpunk et dark fantasy. Mais depuis deux ans, c’est IRL qu’elle embrase les foules, imposant son style bass music percutant dans un milieu où il faut savoir faire plus de bruit que les autres. Le personnage qu’elle est devenue est le fruit d’un parcours long, risqué et toujours payant. Pour mieux comprendre l’individualité qui se cache derrière l’alias, il faut revenir là où tout a commencé, bien avant les projecteurs et les festivals. À la veille d’une tournée estivale aux côtés d’Asdek, Ava Mind lève le voile sur son parcours pour The Red Bulletin.
Le déclic
Ava Mind vit ses premiers émois musicaux et découvre les jeux vidéo à Toulouse, ville où elle a grandi et traversé son adolescence. C’est très jeune que s’est révélée chez elle une sensibilité à la musique. Elle en a conservé la mémoire et évoque des moments aussi précis que fondateurs. « Les premiers souvenirs que j’ai de musique, c’est d’un côté mon père qui écoutait à fond, dans sa Seat Córdoba, de la techno des années 90 comme The Prodigy. Quant à ma mère, elle écoutait du Prince, Michael Jackson et des classiques soul », confie-t-elle. C’est alors que ses parents lui offrent ses premiers lecteurs de cassettes, de CD puis de MP3.
Comme pour la plupart des adolescent·e·s ayant grandi au début des années 2000, avec la part de rébellion inhérente à cette tranche d’âge, elle se tourne vers le néo-metal, découvrant Linkin Park, Korn ou encore Deftones. « Dans tout ce que j’écoutais, j’étais sensible à cette sensation de puissance. » Une puissance qu’elle retrouvera plus tard dans un autre style : la musique électronique. Bac en poche, c’est lors d’un voyage à Londres qu’a lieu le déclic. « C’est là-bas que j’ai découvert la bass music avec la dub, la jungle, drum & bass, etc. J’étais aux prémices de tous ces styles émergents. »
De retour dans la ville rose, elle se met alors pleinement à digger des sons sur des sites comme Radio.blog.club, bien avant l’arrivée des mastodontes du streaming Spotify et Deezer. Au même moment, elle découvre la vie nocturne et révèle avoir passé une majorité de ses week-ends au Bikini, emblématique salle de concert toulousaine qui organisait les premières soirées Bass Music. En parallèle à ses études supérieures, elle collabore avec des associations pour y organiser des soirées et booker des artistes. « Je le faisais parce que j’avais des entrées gratos et que je pouvais amener mes potes », avoue-t-elle en riant.
Car au fond, elle était poussée par une autre passion : la création photo et vidéo. Mais le chemin n’était pas facile et c’est ainsi qu’elle a vécu son premier coup dur. « J’avais toujours voulu faire une école de vidéo et de photo qui s’appelle l’ETPA, mais je n’ai pas été acceptée car je n’avais pas fait un Bac S. » Ce refus, vécu comme une injustice, a eu l’effet d’une déflagration.
« C’est la première fois que je me mangeais un mur qui n’avait rien à voir avec mes compétences ni ma volonté. C’est la société qui est comme ça. T’as pas assez d’argent ou ton dossier ne passe pas parce que tu ne viens pas d’une famille qui peut se permettre de faire ces choses-là. Je ne comprends pas que l’aspect artistique soit tributaire d’un compte en banque ou d’une formation. » Alors, portée par une profonde conviction et un refus de baisser les bras, elle prend la décision de quitter Toulouse, direction Paris. « J’ai toujours été un peu l’originale de la famille. Je n’avais pas trop envie d’une vie posée en CDI. J’étais donc prête à prendre des risques pour poursuivre mes rêves, ce qui inquiétait énormément mes parents. » C’est là que la nouvelle vie de la jeune femme commence.
Une star du net
Loin d’un destin tout tracé, l’histoire d’Ava Mind est celle de l’effort constant, du doute persistant et du sacrifice. Avant de connaître les projecteurs et la ferveur de Twitch, elle débute sa vie parisienne comme « vendeuse de chaussettes » pour une célèbre marque de lingerie italienne, à des années-lumière de sa vie rêvée. Cette parenthèse, plus longue que prévue, l’amènera même jusqu’à devenir directrice de magasin. Elle décrit cette période comme des années de galère, ponctuées de doutes. « J’ai eu un contre-coup de “T’es la reine de la ville” à “T’es une nobody, tout le monde s’en fout de toi” », confiait-elle en 2022 au micro de Zack. Sa vie bascule le jour où le magasin est victime d’un braquage.
Sans filet, elle plaque tout et décide de repartir de zéro. Elle enchaîne alors les expériences dans la communication et les médias en freelance. Elle fera ses armes au Manoir de Paris, pour le webmedia Hero ou encore pour des campagnes de publicité où elle s’impose comme chef op’. Des expériences qui vont l’amener à faire ses premiers pas face caméra. « J’étais technicienne pour un webmedia qui faisait des lives sur les réseaux sociaux comme Facebook. Un jour, j’avais diffusé un live sur un jeu vidéo. Les gens avaient vraiment kiffé et ça m’est toujours resté. » Si bien que lors de son pot de départ, son équipe lui offre une carte de capture et lui glisse : « Si un jour tu streames des jeux, on regardera. » Son patron lui lance alors, comme une boutade : « On viendra te voir quand tu seras une star du net ! »
En 2019, poussée par son compagnon de l’époque, grand amateur de Twitch, Ava Mind se lance sur la plateforme. « J’ai commencé avec un vieux PC portable branché à une cam. J’ai juste allumé un stream mais sans vraiment en attendre quelque chose. Au début il y avait que mon gars, un bot et un mec qui passaient de temps en temps pour dire bonjour, et ça m’allait très bien. »
La pandémie de Covid-19 en 2020 fera l’effet d’un catalyseur. Confinée, Ava Mind consacre davantage de temps à ses streams, tissant une communauté fidèle. Elle investit dans du matériel et façonne un univers visuel singulier. Mais le véritable tournant survient en avril 2021 avec sa participation au serveur GTA RPZ (jeu de rôle sur Grand Theft Auto V) de ZeratoR, où elle incarne Lucy Hellman, une jeune femme atteinte du trouble dissociatif de l’identité (TDI). Cette expérience va révéler son talent d’improvisation. Sa performance la propulse sur le devant de la scène Twitch française, attirant entre 4 000 et 6 000 viewers par jour. Ava Mind passe alors de l’anonymat relatif à un statut de nouvelle étoile montante de Twitch.
Premier pas au Rex Club
Depuis, Ava Mind donne rendez-vous à sa communauté, en fin de matinée ou en début d’après-midi, pour des sessions live où se mêlent gaming et discussions. Entre deux parties, elle partage ses coups de cœur, ses coups de gueule, mais aussi ses découvertes. « Je faisais une sélection musicale tous les jours avec des morceaux que je passais avant et pendant le stream », raconte-t-elle. Aujourd’hui, elle peut s’appuyer sur une bibliothèque de plus d’une trentaine de playlists soigneusement constituées. Ce qu’elle aime avant tout, c’est découvrir et partager. « Pour moi, il n’y a pas plus valorisant que de faire découvrir des sons à des gens qui te remercient. »
En septembre 2022, Ava Mind participe à son tout premier ZEvent, le marathon caritatif qui rassemble les plus grands streamers et streameuses francophones. Pour inciter le public à faire grimper les dons, elle imagine une mise en scène immersive : des effets visuels à foison et une sélection musicale ultra-pointue, presque comme un vrai DJ set. « Sauf que ce n’était pas le cas et cela m’a un peu frustrée parce que j’étais un peu à me dire : “C’est con, tout le monde me répète que j’ai une bonne sélection, et en fait je n’ose pas mixer parce que j’ai toujours voulu promouvoir des artistes et pas le faire moi-même.” »
Alors, plus question d’hésiter, Ava Mind se lance dans un nouveau défi : apprendre à mixer. « Je voulais montrer qu’il n’est jamais trop tard pour se fixer un objectif et acquérir un nouveau skill. » Platines fraîchement installées, elle partage sans filtre ses premières tentatives en stream : « Mes transitions étaient éclatées mais c’est hyper drôle de voir la progression. » À force d’entraînement et de persévérance, elle prend peu à peu confiance et commence à dompter les decks.
Avant même de prouver que je pouvais en avoir, c’était acté : je n’avais pas de talent...
C’est alors que sa rencontre avec le DJ montpelliérain Asdek va considérablement accélérer les choses. Très vite, une amitié se noue et Asdek lui lance un pari fou : jouer en public pour la première fois au Rex Club, à Paris, à l’occasion de la sortie de son EP. « J’étais terrorisée, je me disais : “Mais qu’est-ce que je vais foutre au Rex Club alors que je suis encore en train d’apprendre ?” Mais sur un coup de tête je lui ai répondu : “Allez, on le fait mais en b2b, c’est plus fun et je ne me considère pas encore comme une DJ pro”. » Après une soirée qui restera à jamais gravée dans sa tête, Ava Mind et Asdek conviennent de transformer cet essai et d’aller de l’avant.
De cette ambition naîtra en 2024 The Lost Tapes Tour, une première tournée du duo à travers la France construite sur un line-up pensé comme un véritable tremplin pour d’autres DJs et artistes émergent·e·s. « Ce que je voulais, c’était mener à bien mon projet, tout en restant fidèle à ce qui m’anime depuis le début : faire découvrir des talents, explique-t-elle. On savait qu’on allait vendre des places parce que des gens nous suivent via Twitch et autre, mais l’essentiel était ailleurs. On voulait surtout utiliser notre visibilité pour mettre d’autres artistes en lumière. » L’aventure prend une telle ampleur qu’en avril 2025, il et elle réitèrent l’expérience avec Eclipse, une nouvelle tournée dans le même esprit d’ouverture et de partage.
More Girls Behind Decks
Aujourd’hui, Ava Mind continue de tracer sa route dans le monde de la nuit, mais il est difficile d’échapper aux critiques et étiquettes quand on vient d’Internet. « Pour certaines personnes, parce que tu t’es faite connaître par Internet, tu n’as pas existé avant et du coup, quand tu décides de te mettre sur un autre projet, tu n’es qu’une influenceuse en manque de buzz ou qui veut s’amuser. Avant même de prouver que je pouvais en avoir, c’était acté : je n’avais pas de talent. J’étais juste là parce que je venais de Twitch ou parce que j’étais mignonne. »
Plutôt que de céder à l’amertume, Ava Mind choisit de devenir constructive. « J’ai vu le truc à l’inverse. C’est-à-dire qu’il y avait plein de projets que j’avais depuis des années, sauf que nul ne t’ouvre les portes parce que tu n’es personne. C’est dommage parce qu’il y a des artistes qui sont bien plus talentueux que moi mais qui n’ont pas du tout l’accessibilité que j’ai sur certaines propositions. » Parmi ses engagements, Ava Mind va participer au projet More Girls Behind Decks, une initiative portée par la DJ parisienne Mayou Picchu pour accompagner les femmes souhaitant se lancer dans le monde du DJing. Une manière de marteler, platines en main, que le talent n’a ni genre ni visage prédéfini.
Aujourd’hui, Ava Mind semble avoir trouvé son équilibre, oscillant entre ses écrans et la scène. Mais pour elle, pas question de lever le pied. 2025 s’annonce comme une année charnière avec le lancement très attendu de sa chaîne YouTube.