La coureuse britannique Jasmin Paris est la première femme de l'histoire à remporter la Spine Race, l'un des ultra-marathons les plus difficiles d'Europe.
© No Limits Photography/Salomon Skyline Scotland
Ultrafond

Jasmin Paris, superwoman

Alors que de plus en plus de femmes surpassent les hommes en ultra-marathons, on a demandé à celle qui a battu le record de la Spine Race (de 12h) de nous donner son point de vue sur le phénomène.
Écrit par Florian Obkircher
Temps de lecture estimé : 6 minutesPublished on
La Spine Race est souvent décrite comme l'un des ultra-marathons les plus difficiles d'Europe. En 2019, au Pays de Galles, il a été remporté par la coureuse britannique Jasmin Paris, qui a bouclé ses 430 km en 83h12m, devenant ainsi la première femme de l'histoire à remporter l'épreuve.
Un exploit incroyable, qui l'est d'ailleurs encore plus quand on sait qu'elle a battu le précédent record - détenu par un homme - de 12 heures, qu'elle est arrivée près de 15 heures avant son plus proche concurrent, et que cette jeune femme a passé une bonne partie de ses 7 heures de pause à tirer du lait pour sa fille de 14 mois.
Loin d'être une athlète professionnelle (elle a pris une semaine de congé pendant son doctorat en sciences vétérinaires pour participer à la course), la jeune femme de 36 ans fait donc partie du contingent toujours croissant de femmes qui battent des hommes lors d'épreuves d'ultra-endurance. En août 2019, la cycliste allemande Fiona Kolbinger devenait la première femme à remporter la Transcontinental Race (4 000 km en 10 jours). En septembre 2019, la nageuse américaine Sarah Thomas devenait, de son côté, la première personne à traverser la Manche à la nage quatre fois de suite sans s'arrêter (215 km en 54 heures).
Plusieurs scientifiques ayant observé ce phénomène ont alors tenté d'y apporter des éléments de réponse : plus la course serait longue et effroyable, plus les femmes battraient leurs adversaires masculins. Mais nous avons préféré demander son point de vue à l'intéressée, et en même temps, d'en savoir un peu plus sur les motivations de cette superwoman.
The Red Bulletin : Ces derniers mois, on a beaucoup parlé de la supériorité des femmes sur les hommes dans les ultra-événements. Qu'en pensez-vous ?
Jasmin Paris: On me pose souvent cette question. Mais je ne suis pas scientifique. Enfin, je le suis, mais ce n'est pas mon domaine d'études. D'après ma propre expérience, plus je cours, plus je peux être compétitive avec les hommes. Plus on avance, moins il est question de force et de puissance aérobie. Pour moi, il s'agit surtout de savoir ce que l'on a dans la tête, il faut savoir prendre soin de soi, être capable de faire plusieurs choses en et de savoir jongler.
À la Dragon's Back Race, au Pays de Galles, on m'a dit que si vous étiez un homme, vous aviez 50 % de chance de finir, mais que si vous étiez une femme, vous en aviez 90 %.
Pourquoi ?
Les femmes qui se présentent aux longues courses, même si elles ne représentent que 10 % du peloton, sont généralement mieux préparées. Et elles sont moins susceptibles d'avoir cette attitude macho du type « Je peux le faire ! Ça ne doit pas être si difficile que ça». Beaucoup ne réalisent pas qu'en longue distance, l'endurance est très importante, évidemment, mais environ 50 % se joue dans la tête.
Jasmin Paris a bouclé les 430 km de la Spine Race en 83h12m, battant le précédent record - détenu par un homme - de 12 heures.

Jasmin Paris établit un nouveau record à l'épuisante Spine Race

© No Limits Photography/Salomon Skyline Scotland

Comment ça ?
Lorsque vous courez 24 heures ou plus, vous traversez des périodes où vous vous sentez mal. Le principal défi consiste donc à traverser ces phases et à en sortir pour se sentir mieux à nouveau. Il s'agit de la capacité à bloquer l'inconfort et à le surmonter, ce qui se rapproche beaucoup de la méditation. Courir de longues distances est très méditatif, parce que vous ne faites qu'un pas après l'autre.
Comment on sort d'une mauvaise passe pendant une course ?
C'est une question qui revient souvent. Les gens espèrent que je vais leur donner ce conseil magique, genre "voilà". Mais je ne peux pas faire ça. Une chose est sûre : ça aide d'être obstiné. Soyez obstiné et gardez la tête froide.
Il est aussi très important de continuer à manger, même si vous avez l'impression de ne rien pouvoir avaler. Si vous pouvez avoir du carburant, c'est généralement le moment crucial pour le prendre. Et vérifiez constamment que vous avez assez chaud. Parfois, vous ne voulez pas vous arrêter pour manger ou vous habiller, parce que vous pensez que vous allez perdre du temps, mais ça peut être une erreur fatale.
Si vous visez de gagner une course comme la Spine Race, vous vous poussez à bout
Jasmin Paris
En parlant de moments difficiles, Eugeni Roselló Solé, qui était en deuxième position à la Spine Race, a abandonné après 424 km, à seulement 6 km de la ligne d'arrivée...
Si vous visez de gagner une course comme la Spine Race, vous vous poussez à bout et parfois vous risquez de dépasser vos limites. Il faisait très froid le dernier jour, bien en dessous de zéro et il y avait beaucoup de vent. Je portais six couches, trois paires de jambières, tous les vêtements que j'avais. Vous courez, mais vous n'êtes plus aussi rapide et il est difficile de rester au chaud. J'ai réussi à le faire.
Eugeni, de son côté, avait un peu moins d'équipement que moi. C'est un risque qu'il a pris et qui, en fin de compte, n'a pas payé parce qu'il faisait trop froid. Mais ça faisait partie d'une décision préalable - le poids que vous allez porter, la vitesse à laquelle vous allez bouger. Eugeni s'est poussé à bout en essayant de me rattraper et puis il n'avait plus rien. Si vous avez trop froid et que vous avancez trop lentement, c'est un cercle vicieux. Je suis juste contente qu'il ait été secouru.
Lors de ces courses d'ultra, quelle est l'heure la plus difficile ?
J'ai l'impression qu'un moment de la première nuit a été particulièrement difficile, parce que je me sentais déjà très fatiguée, mais en même temps j'avais encore plus de 320 km à courir pour voir ma fille. Les gens ont du mal à comprendre ça. On pense généralement qu'on est de plus en plus fatigué. Mais le dernier jour, je savais que je menais la course et je savais que j'allais voir ma fille très bientôt, donc c'était mieux d'une certaine façon.
De quelle manière notre perception est-elle altérée après avoir couru pendant si longtemps ? On commence à avoir des hallucinations ?
Oui, on en a. C'était spécial, parce que je savais que j'hallucinais. Les choses et les formes se transformaient et changeaient. En un sens, c'était distrayant. Quand je me suis approchée de la toute fin, on aurait dit qu'il y avait des gens sur le bord de la route. C'était juste des arbres, mais votre esprit vous montre des choses que vous voulez voir.
Vous avez mentionné plus tôt que dans de nombreuses courses, il n'y a souvent que 10 % de femmes parmi les participants. Comment cela peut-il changer ?
Pour les courses, surtout les plus importantes, un réajustement en termes d'égalité des sexes est nécessaire. Il doit y avoir une égalité de prix, une égalité de trophées. Peu importe qu'il y ait moins de femmes qui participent, ce n'est pas une excuse pour moi. Il faut d'abord penser à rendre les choses plus égales, et ensuite, les femmes participeront en plus grand nombre.
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