COVER TAYC
© Kenny Germé
Festivals

Le règne de Tayc

Du DM providentiel à l’U Arena, Tayc ravive le R&B français en y mêlant l’afro love. Entre branding soigné, spiritualité fragile et bangers, il prouve que chanter l’amour peut être subversif.
Écrit par Marie-Maxime Dricot
Temps de lecture estimé : 25 minutesPublished on
Un soir d’automne 2017, quand la notification s’affiche : « Yo, ta voix, je la veux sur un track. » À l’autre bout du DM, Barack Adama, figure fondatrice de Sexion d’Assaut, vient d’ouvrir une brèche dans laquelle Julien Bouadjie, alias Tayc – acronyme de Take All You Can – se glisse sans hésiter. Deux semaines plus tard, signature à la clé, le chanteur cambrioleur de sentiments troque les couloirs anonymes de Marseille pour un studio parisien. Le R&B que l’industrie disait « mort » pulse à nouveau ; son messie porte parfois ses tresses, parfois son afro aux contours ultra soignés, des joggings comme des costumes et, plus que tout, un rêve XXL : faire de la France la nouvelle capitale de l’afro love.
C’est au M Studio, à Paris, que Tayc pose devant l’objectif de Kenny à l’occasion du Red Bull Symphonic.

Tayc pose devant l’objectif de Kenny à l’occasion du Red Bull Symphonic

© Kenny Germé

Dans la cabine, il suffit d’un accord et d’un refrain pour que les doutes se dissolvent : « Le R&B va revenir grâce à toi », prophétise Adama. Huit ans, un U Arena rempli et six millions d’auditeurs mensuels plus tard, la vision a pris chair. Entre un fils à langer, des violons à dompter pour un Red Bull Symphonic (à Paris le 10 novembre prochain, au Théâtre des Champs-Élysées) et une foi qu’il cherche encore à cadrer, Tayc avance à 200 km/h, tiré par le carburant ambigu d’une notoriété-poison : douce, sucrée et entêtante. Ce sont dans les locaux de Radio France que je rencontre Tayc, pour un moment de relâche et de vulnérabilité, entre rires et confidences, comme si nous nous connaissions depuis toujours.

The Red Bulletin : Ça fait combien de temps que vous collaborez avec Barack Adama et comment vous êtes-vous rencontrés ?

Tayc: Depuis 2018, on est ensemble. On est entrés en contact via Instagram en 2017. Il m’avait contacté pour un featuring à l’époque. Il avait juste entendu ma voix sur un titre. Lui sortait de Sexion d’Assaut, c’était une période un peu plus creuse de sa carrière. Il voulait de la fraîcheur, il cherchait de nouveaux artistes et il a entendu un de mes titres, que personne n’avait encore écouté, mais lui, il est tombé dessus. Il a kiffé et il m’a tout de suite appelé pour qu’on fasse un titre, et direct, il m’envoie une instru. Alors je lui propose ce que j’ai à proposer. Il me dit qu’il verra avec mon label directement. Je lui réponds : « Je n’ai pas de label. Je suis désolé mais je travaille avec mon frère et Djnass212 qui est encore dans mon équipe, c’est lui qui mixe la quasi-totalité de mes musiques. » Il me dit : « Quoi ? » Je lui explique que je suis tout seul avec ces deux-là à faire des bails comme on peut. Il me dit de venir chez lui… là, tout de suite ! Il était 17 heures. À 21 heures, je me retrouve donc chez lui avec mon frère. Et on signe, même pas deux semaines après.

Qu’est-ce qui rend cette alliance musicale si unique, qu’est-ce qui fait sa spécificité et qu’est-ce que tu apprécies dans sa démarche quand tu travailles avec lui en studio ?

En fait, Adama, il arrive dans un moment de ma vie où toutes les portes se ferment, entre guillemets. C’est-à-dire, j’ai un style musical : à ce moment-là, c’est le R&B. Je n’ai pas encore l’afro love. Alors quand je parle aux gens de R&B, on me rit au nez : « Le R&B, tu es bien beau, tu es bien mignon, mais on est une maison de disques, on veut faire du chiffre, on ne va pas vendre des CD. » C’est ainsi qu’Adama arrive, à un moment où tout le monde me dit que c’est nul, que ça ne va pas marcher, bref, que le R&B c’est mort. Même : « Tu chantes trop bien, t’es chiant ! »

Arrive un moment où je suis en mode fin de jeu, c’est mort pour moi. Et Adama débarque et me lance : « Tu sais quoi, je suis un fou, fan de R&B, ta voix elle est exceptionnelle, et j’ai la vision sur le fait que le R&B va revenir en France grâce à toi. » Tu vois, c’est dingue. Et il me dit : « Je veux que les titres sortent dans deux ans. Le R&B n’est pas mort. Tayc en est la preuve. » On se galvanise tous les deux en se disant ça. C’est ça qui m’a donné la confiance. Déjà, d’être avec Barack Adama, qui est membre de la Sexion d’Assaut, ce n’est pas rien. J’ai une légende en face de moi quand même. Un gars qui me dit, en fait, ce que tu fais là comme style, c’est ça qui va tout niquer. C’est ça qui va tout casser. C’est ça qui va tout arracher. Il a gonflé mon ego. À ce moment-là, je n’avais plus aucun doute sur le fait que ça marcherait.

D’abord séduit par le théâtre et la danse, Tayc se tourne dès son arrivée à Paris en 2012 vers le chant, qui deviendra sa véritable passion.

Tayc se tourne dès son arrivée à Paris en 2012 vers le chant

© Kenny Germé

On est en 2017, ton premier album Alchemy sort. L’afro love n’existe pas encore. Ce label n’a pas encore été pensé et réfléchi. Mais tu as quand même déjà cette signature sonore avec ces musicalités africaines au sens large. Et avec Alchemy, tu remets sur le devant de la scène le R&B. Qu’est-ce que ce genre, au-delà de ce que tu proposes aujourd’hui, t’a apporté dans ta vie ? C’est quelque chose que tu consommais naturellement ?

J’ai toujours aimé le R&B. Surtout celui qui vient des États-Unis. Je n’ai jamais trop écouté de musique française, à part dans le rap un peu, à Marseille, etc. La chanson française, je n’en ai jamais été très friand. Quand ça parlait de chansons, moi, j’étais branché sur ce qui vient des États-Unis ou de Londres. Alors quand ça arrive en France, ça me gifle. Ne-Yo, Chris Brown, Usher, Joe, etc., je n’écoute qu’eux, je ne vis que pour ça : les clips, les machins, les potins. Tu vois, tout ce qu’on lit dans les magazines, tout ce qu’il s’est passé. J’aimais trop ça, les gossips des stars. J’étais vraiment fan de l’univers américain, des love stories et du R&B, tu vois.

Quand est-ce que survient le déclic de l’appellation « afro love » ?

C’était juste avant Fleur Froide, un peu avant que l’album ne sorte. Mais on avait déjà rendu les bandes et tout. C’est Nyadjiko qui a inventé cette expression ; et Nyadjiko, c’est un de mes producteurs aujourd’hui. Ça paraissait tellement sensé quand il l’a dit. Tellement fluide. Et tu sais, moi, j’aime bien le branding. J’aime bien vendre quelque chose, comme tu l’as fait remarquer tout à l’heure. J’aime bien la marque. J’aime bien le slogan. J’aime bien le jingle. Et quand on a commencé à mettre « afro love » dans une phrase, ça glissait tellement que pour nous, ça allait de soi.

Si tu devais la définir en une phrase, que tu dirais-tu ?

Je dirais que c’est... un amour d’été, un amour d’été avec tout ce que ça englobe. Quand tu es amoureux de l’amour, tu l’es aussi de la partie néfaste. Quand on aime l’amour, on prend tout. Tu aimes cette dispute parce que tu sais que c’est pour mieux retrouver ton ou ta chérie. C’est l’été, donc on aime. Et en même temps, c’est l’été, donc vas-y. J’ai reparlé vite fait avec mon ex. Ma nouvelle meuf, elle me casse la tête. C’est tout ça. C’est ce que je mets dans la musique. Les bonnes choses comme les mauvaises. Et pourquoi je dis été ? Parce que l’afro love, c’est chaleureux, ça connecte les gens.

Quand on travaille, c’est rarement nous qui décidons de notre sort, de ce qu’on fait ou de ce qu’on dit. On ne s’appartient plus.
Tayc

Comment fait-on pour construire une image soignée et en même temps qui ne soit pas surfaite ? Comment la pense-t-on avec son équipe ? Comment en vient-on à poser presque une signature internationale ? Et qu’est-ce que ça coûte personnellement ? On pourrait presque déposer l’afro love en tant que marque aujourd’hui, la tienne.

Il faut trouver le parfait dosage, qui est d’ailleurs propre à chacun. Il y a des gens qui pensent que j’en fais trop, d’autres qui pensent que je n’en fais pas assez, d’autres qui pensent que je suis une pile dans le bon dosage. Et c’est là que c’est difficile. C’est un peu inexplicable : par exemple, je fais du R&B, de la soul, du jazz, de l’afro love mais j’aime beaucoup le sport. Et quand on va au sport, on s’habille en jogging. J’aime aussi me montrer comme ça, car ça permet de rester connecté avec les gens. C’est bizarre à dire, mais porter tel survêt, tel bonnet, que tout le monde a l’habitude de mettre, ça permet que la jeunesse se dise : « Tayc, il est dans l’air du temps. » Si je faisais de la musique en m’habillant toujours hyper classe, le dosage ne serait pas le bon. J’aime aller au sport, j’aime me mettre en jogging, être à l’aise. J’aime me montrer dans mon autre réalité.

Qu’en est-il du dosage dans la musique ?

Quand une production est très complexe, moi, je vais la simplifier avec un thème très facile : l’amour, la trahison, le sexe. Quelque chose de simple pour que le cerveau digère facilement. Si ta production est compliquée et que le texte l’est aussi, tu perds les gens. Et à l’inverse, quand la production est simple, j’aime bien aller chercher des textes plus structurés et complexes.

Tu disais juste avant que tu fais du R&B, de la soul, de la musique aux sonorités africaines, avec l’utilisation parfois d’instruments traditionnels ou non, et que tu refuses de t’enfermer dans des genres. Aujourd’hui, on a l’impression que c’est quelque chose de simple parce que, globalement, la musique se métisse de plus en plus, elle est multiculturelle. Est-ce que ça a été facile pour toi de trouver ton son, si on omet le fait qu’on ne croyait pas forcément à ta proposition musicale au début ?

C’est assez marrant de te dire ça parce qu’au final, oui, quand même. Je ne l’ai vraiment volé à personne, mon talent musical, je l’ai juste sublimé avec le temps. Pareil pour ma voix. Ça n’a jamais été très dur pour moi, la musique. C’est dingue à dire, mais j’assume : ça n’a jamais été difficile pour moi. J’ai fait des morceaux nuls, j’ai fait des morceaux moins bons que d’autres, mais ça n’a jamais été quelque chose de compliqué. Je n’ai jamais buté sur un titre, un texte ni une mélodie : ce sont des choses qui sortent de moi comme un bonjour.

Tu es, par ailleurs, ce qu’on peut qualifier d’autodidacte. Te souviens-tu de ta première fois dans un studio, de tes premiers pas dans le son ?

La première fois que j’arrive à Paris en 2012, pour te donner l’anecdote, je me retrouve dans un internat où il y a un studio. Je rentre dans le studio, je m’assois, je regarde tous les posters. C’était un studio super beau gosse. Il y avait des disques d’or. Et il y a un gars en train de composer une instru pour un rappeur. Je commence à fredonner des trucs sur l’instrumental qu’il était en train de faire. Le mec a tellement aimé ce que j’ai fait qu’il n’a pas donné le son au rappeur. Il me l’a laissé en me disant : « On s’en fout, t’inquiète, ça reste entre nous. »

L’ego de Tayc pourrait sembler surdimensionné mais il n’est qu’à l’image de son perfectionnisme et de la rigueur qu’il s’impose au quotidien.

L’ego de Tayc est à l’image de son perfectionnisme et de sa rigueur

© Kenny Germé

Ta musique, c’est de l’amour : l’amour de vivre et de rassembler. Mais quand on fédère, qu’on est une personnalité publique de ton envergure, on incarne aussi la fonction de « rôle modèle » malgré soi.

Je pense qu’à un moment donné, il faut laisser les gens et les artistes tranquilles, dans le sens où je veux juste faire du son, moi. Tout ce qui relève des « fais pas ci, fais pas ça, tu es Tayc », etc., je suis en mode : « Mais qu’est-ce que tu me racontes ? Moi, je vais au studio, je fais du son, c’est tout. » Derrière, en découle une carrière, forcément. Cependant, c’est aux politiciens qu’on doit dire d’avoir une responsabilité, ce sont eux qui portent la parole du peuple, qui sont censés être à l’écoute. Donc ça, c’est la réponse que je te donne parce que je suis détente. Mais si je dois te donner la version costume-cravate, je te dirais que oui, il faut assumer le fait que je suis écouté par des jeunes. Aujourd’hui, je suis fier d’entendre des gens dire : « Moi aussi, je fais de l’afro love. » Donc tu te dis : « Putain, c’est dingue, c’est mon mot, celui que j’ai créé… les gens l’utilisent. » Tu deviens un repère pour beaucoup de monde, donc tu es un modèle. Alors oui, il faut l’assumer, c’est sûr. J’essaie.

Lorsqu’on arrive à ton niveau artistique, on a tendance à juxtaposer la notion d’intégrité à la notoriété, pour ne pas se perdre en chemin. Ce qui fait écho à ce que tu disais au micro de Léa Salamé lors d’une matinale, à savoir ton besoin de retrouver une certaine spiritualité. Notamment pour faire face au décès d’un de tes proches en 2024.

En toute humilité, à mon niveau, ce n’est même plus moi qui dicte ma vie mais mon métier. Quand on travaille, c’est rarement nous qui décidons de notre sort, de ce qu’on fait ou de ce qu’on dit. On ne peut plus aller manger une glace ni se promener avec sa femme et son fils dans son quartier. Donc, on n’est plus du tout soi-même. On ne s’appartient plus. Et ça, Barack me l’avait déjà dit en 2018 : « Tôt ou tard, tu ne t’appartiendras plus. » Je n’y croyais pas, mais là, je le vois. Et en fait, la spiritualité, elle s’évapore parce que tu es dans un train qui va à 200 km à l’heure, et ce n’est même pas toi le conducteur. Essayer de garder le repère que tu avais au début de ta carrière, quand tu avais le temps de réfléchir, c’est dur. Maintenant, je n’ai plus le temps de penser ni de méditer. Le téléphone sonne sans arrêt, on me dit qu’il faut aller à tel truc à Monaco, qu’il faut faire telle date, qu’il y a tel deal à honorer, etc. Ensuite, tu y vas parce qu’on te dit aussi que c’est maintenant ou jamais, qu’il ne faut pas rater une belle opportunité. Alors tu remets une pièce dans le juke-box, bien que la musique, tu la connaisses déjà par cœur. C’est comme un refrain entêtant qui finit par te saouler. Mais comme c’est toi qui remets une pièce, tu y retournes et tu vas à Monaco pour le Grand Prix, alors que tu avais juste envie d’être avec ton fils et de lui essuyer ses couches pleines de caca. Et c’est ça, méditer, finalement, tu vois : c’est changer les couches de ton fils…

Ce rythme a quelque chose d’addictif, c’est presque une drogue dont on ne peut se défaire.

C’est une drogue et un poison. Par ailleurs, je n’ai pas fait tout ça pour rien... Parfois, je repense à moi en 2017, quand je n’avais pas un rond et que j’allais jusqu’à Dreux pour faire du son. Maintenant que je suis au top, je ne vais pas cracher dans la soupe, ça serait ingrat. Quand on me propose un concert à je ne sais pas combien d’euros, qui suis-je pour dire non ? En vérité, mon cerveau n’en a pas envie. Au-delà de tout ceci, ça impacte ma spiritualité. Aller dans une église, aujourd’hui, tous les dimanches, ce serait inconcevable pour moi. Comment je fais ? Je viens avec une sécu. Même sur un plan logistique, c’est compliqué...

Maintenant que je suis au top, je ne vais pas cracher dans la soupe, ça serait ingrat. Quand on me propose un concert à je ne sais pas combien d’euros, qui suis-je pour dire non ?
Tayc

Comment est-ce que tes proches vivent cette situation ? Et comment gères-tu les émotions des autres en plus des tiennes, dans ces moments où l’on te voit bouger et faire des choses parfois à contre-cœur ? Cet instant où tu leur dis : « Non, il faut que j’y aille, mais je reviens vite », et qu’on te répond, par exemple : « Es-tu sûr ? On voit bien que là, ça ne va pas. »

Ma mère m’a souvent dit que je m’éloignais de qui j’étais profondément, de ma spiritualité. Cependant, j’ai l’impression que tant qu’elle reste connectée à Dieu, c’est comme une espèce de voile qui continue de me protéger de tout ce qui m’arrive dans la vie. Honnêtement, je me sens un peu perdu : dans mes croyances, dans ma religion. Mais ma mère prie tellement fort pour moi et elle est tellement convaincue de sa spiritualité que c’est comme dans "Harry Potter". Harry continue de vivre grâce à l’amour tellement puissant de sa maman que, lorsque Voldemort tente de le tuer enfant, il résiste et récupère même une partie de l’âme de ce dernier : un horcruxe, lui laissant une cicatrice sur le front.

L’amour est un langage universel, il est le langage par excellence de ta musique et le reflet des sentiments les plus forts que ta mère te porte. Tu as aussi grandi entouré de femmes. Quand tu écris, c’est pour elles et pour toutes les femmes du monde, entre autres. Qu’est-ce qui fait que c’est un thème qui te touche particulièrement ?

L’amour, c’est la vie. Je pense que je suis fait de ça. J’en ai beaucoup à donner de manière générale, à mes proches, aux gens. Je suis quelqu’un de très attaché et attachant. C’est-à-dire qu’en une demi-journée, on peut connecter ensemble comme si ça faisait des années qu’on se connaissait. Parce que déjà, je n’ai pas ce truc d’artiste, de distance. Si je t’aime bien, le soir même, on est à la maison, on se fait une bouffe, on fait ce qu’on veut. D’autre part, je n’ai pas honte de le dire : l’amour, c’est le thème le plus intéressant dans la musique et dans l’art. Je ne me voyais pas chanter la rue. Je ne me voyais pas chanter sur les problèmes sociopolitiques. La seule chose qui m’anime quand je chante, c’est l’amour et pourtant j’ai essayé de me faire violence.

Parlons du fait que tu sois né en France. Comment penses-tu l’intégration de tes origines dans tes productions musicales ? Car de nos jours, beaucoup d’artistes s’imprègnent des sonorités et musicalités du continent, sans pour autant rendre la pareille et donner du crédit à la scène musicale de leur pays d’origine.

J’accepte déjà une chose que le Camerounais devrait accepter aussi : dans le décor africain et même le décor mondial, le Cameroun n’est pas un porteur musical. C’est la vérité. Personne ne peut se lever et dire qu’on a le même impact que le Congolais avec le Ndombolo ou l’Ivoirien avec le Coupé-décalé. Nous, on a eu le Makossa, on a le Bikutsi, ce sont des genres qui sont incroyables, mais dire qu’on a été porteur de musique, à part Manu Dibango (avec qui j’ai sorti le titre Ewondo ou Bami en 2019, ndlr), qui a vraiment défrayé la chronique, et quelques autres, ce n’est pas la musique dont on doit être le plus fier, c’est de tout le reste ! Notre accent, c’est quelque chose que les gens adorent chez nous. Notre humour et nos expressions aussi. Quant à la nourriture, c’est la meilleure d’Afrique ! Et j’essaye de mettre ça en avant. La première fois que j’ai fait un concert au Cameroun, j’ai fait monter ma mère sur scène pour un mini-sketch où on reprenait avec humour les codes de notre culture. Et, selon moi, ça a bien plus marché que si j’avais juste fait un morceau 100 % camerounais. Ce petit moment d’humour a fait plus de 4 millions de vues, parce que le peuple s’est identifié. Je prends ce qui est lourd chez nous, pour nous, et je le mets dans mon personnage. Il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, je ne suis pas juste un musicien, je suis un personnage complet.

Qu’entends-tu par « personnage » exactement ? Que tu es un artiste complet et que tu souhaites qu’on se souvienne de toi comme… ?

Je veux dire par là que j’essaie d’être original dans ma manière d’annoncer les choses et je désire qu’on se souvienne de moi pour ça. Être un artiste, ce n’est pas seulement aller au studio, faire un clip, être beau gosse. Au bout d’un moment, qu’est-ce que je suis dans la globalité ? Quand je serai six pieds sous terre, qu’est-ce qu’on dira de moi ? Alors j’essaie de mettre en avant le Cameroun comme je peux, à travers sa culture, entièrement. Ça peut m’arriver d’écouter de la musique de chez nous parce que je l’adore, mais dire qu’elle m’inspire dans mes productions, ce serait mentir.

Tayc flamboyant, en train de danser et de briller telle l’étoile du Cameroun.

Tayc en train de danser et de briller telle l’étoile du Cameroun

© Kenny Germé

L’amour, c’est le thème le plus intéressant dans la musique et dans l’art. Je ne me voyais pas chanter la rue. Je ne me voyais pas chanter sur les problèmes sociopolitiques.
Tayc

Au-delà de la population camerounaise et de la France, tu touches de nombreux pays occidentaux mais aussi certains du continent asiatique, ce qui te fait plus de 6 millions de streams par mois. Tu rentres ainsi dans le top 10 (2025) des artistes francophones les plus écoutés dans le monde sur Spotify, aux côtés de GIMS, Jul et Aya Nakamura. Ce qui fait ta singularité, c’est que ton public est intergénérationnel. Lorsqu’on va à l’un de tes concerts, il y a des jeunes de 25 ans comme des parents avec leurs ados, mais aussi des adultes, des groupes de potes dont on ne saurait définir l’âge ni la classe sociale.

Oui ! C’est complètement fou. Je trouve que c’est clairement une force. On n’est pas beaucoup, en France aujourd’hui, à pouvoir rassembler les petits et les grands. Mais ça passe par ce qu’on disait tout à l’heure : trouver le bon équilibre. J’étais à Ivry en juin dernier pour un concert au pied d’une cité ; j’appréhendais un peu parce que je chantais "Le miel" et je ne savais pas si ça allait prendre. Mais on était 40 000 personnes au total et c’était incroyable. Tout le monde connaissait mes morceaux. Et ça, c’est aussi parce que les jeunes de là-bas me voient arriver comme eux, et quand ils sont sur mes réseaux – où je drope des petites vidéos marrantes où je chante –, ils se rendent compte que nous ne sommes pas si différents.

Tu penses beaucoup de temps à ­soigner ton apparence ?

Je passe beaucoup de temps à choisir mes vêtements parce qu’à mes yeux, c’est l’identité d’une personne. Quand on fait l’album Héritage avec Dadju, c’est ça qu’on se dit : « On fait un album prestigieux, mais on n’arrive pas en costard, grand daron », lui qui a 35 ans, moi qui en ai bientôt 30. « Viens, on connecte avec les gens et on envoie de la sape. » Il faut que, visuellement, les gens puissent aussi connecter avec toi, au-delà de la musique.

Si tu n’étais pas toi et que tu te voyais, que tu t’écoutais, que tu te découvrais d’un point de vue extérieur, que dirais-tu ?

Je pense que je ne m’aimerais pas. (Rires) Avec moi, c’est tout ou rien. Dans le pro comme dans le perso. Même pour ceux qui connaissent Julien (mon prénom civil, ndlr), c’est soit tu m’adores parce que tu m’as compris en 360°, soit ça ne passe pas. Et c’est okay, j’aime être clivant, que les choix soient clairs. Soit tu m’adores et on est 80 000 à l’U Arena, soit tu ne viens pas et tu me critiques. Mais dans les deux cas, tu as une émotion forte me concernant. Il ne faut pas oublier que la personne qui te déteste t’observe bien plus que celle qui t’aime.

Soit tu m’adores et on est 80 000 à l’U Arena, soit tu ne viens pas et tu me critiques. Mais dans les deux cas, tu as une émotion forte me concernant.
Tayc

Cardi B le disait déjà en 2018 pendant son discours de remerciement aux iHeartRadio Music Awards, pour son award Best New Artist : « Je tiens à remercier mes fans et aussi tous ceux qui me détestent, car ils ont téléchargé mes morceaux pour pouvoir les écouter et en dire du mal, mais cela m’est bénéfique. » Je m’égare… Ta musique, c’est clairement l’art du banger, tu en as plusieurs à ton actif (N’y pense plus, Dodo, Forévà, etc.). Quand tu écris, as-tu parfois cette voix qui te dit : « Okay, là, il faut faire un hit », stratégie marketing étant de mise face aux attentes de l’industrie, ou es-tu du genre : « Je vais au studio et on verra si la magie opère » ?

Aucun artiste qui se respecte ne prendra la première solution. La musique, ce n’est pas toi qui la commandes. Quand j’ai fait "N’y pense plus" — donc banger, grosse énergie, catchy, rotation, on est partout —, mon album "Fleur Froide" devait sortir deux mois après (en décembre 2020, ndlr). J’étais en rendez-vous avec ma maison de disques, on repassait tous les titres de l’album pour savoir où on allait. Ils écoutent. Premier titre, okay. Deuxième, okay. Troisième, okay. Ah, "N’y pense plus", ça danse un peu, à contretemps bien sûr, mais ça danse quand même. On continue, puis à la fin, ils me font : « On adore, mais ça nous manque peut-être un deuxième "N’y pense plus" », parce que pour eux, ça rime avec argent. Et c’est normal, je les comprends, ça reste une maison de disques : leur truc, c’est de vendre. Ce ne sont ni des passionnés, ni des artistes.

J’imagine que, suite à cette réunion, tu es retourné au studio pour répondre à leurs attentes ?

Oui. Je m’enferme en studio pendant deux semaines pour leur sortir un morceau dans la même veine… Ce furent les quatorze jours les plus horribles de ma carrière. La chose la plus désagréable quand t’es un artiste, c’est d’arriver au studio avec une ambition de réussite et non une ambition musicale. Il n’y a pas de logique ou de science dans la création d’un banger, si ce n’est faire sa musique avec sincérité, mettre ses tripes dedans et espérer que ça prenne.

C’est avec les points serrés que Tayc pense à ce temps de pause qu’il compte bien s’octroyer. Bientôt.

Tayc pense à ce temps de pause qu’il compte bien s’octroyer. Bientôt.

© Kenny Germé

Ce n’est pas la musique dont on doit être le plus fier, c’est de tout le reste ! Notre accent, c’est quelque chose que les gens adorent chez nous. Notre humour et nos expressions aussi. Quant à la nourriture, c’est la meilleure d’Afrique !
Tayc

Si tu devais choisir le titre dont tu es le plus fier, parmi l’ensemble de ta discographie hors featurings, celui où tu t’es dit : « Mon public a compris ! », ce serait lequel ?

"Promis Juré". C’est un des premiers titres que j’ai sortis avec mon label H24. Ce son-là m’a particulièrement touché. Si je m’enfermais aujourd’hui pendant deux mois avec le même beatmaker avec qui je l’ai réalisé, on ne pourrait pas retrouver cette même douceur. Tu sais, nous, en tant que croyants, il y a des sons qui ont une onction : c’est-à-dire que, quand le son passe, déjà, tu ne peux pas parler, c’est sacré. "Carry Me" aussi est un peu comme ça.

Ce sont des morceaux que tu aimerais interpréter pour le Red Bull Symphonic ?

Oui, ils sont déjà dans ma tracklist !

La chose la plus désagréable quand tu es un artiste, c’est d’arriver au studio avec une ambition de réussite, et pas une ambition musicale.
Tayc

Où en es-tu côté direction musicale ?

Nulle part. (Rires) Ça fait six ans que je suis avec les mêmes musiciens, nos sons on les connaît sur le bout des doigts. Par ailleurs, j’ai juste envie d’offrir aux gens une performance vocale vraiment très très très puissante dont ils vont se souvenir longtemps. Ils pourront se dire : « On était là au Red Bull Symphonic. » C’est mon seul mot d’ordre. Et je souhaite sublimer les violons. Ça sera tout l’inverse d’un showcase à 3 heures du matin quand le public se met à chanter à ta place. Il faut bien remettre l’église au milieu du village parfois, afin que le monde n’oublie pas que Tayc, c’est aussi une voix et une sensibilité.

Au moment de se quitter, je retrouve Tayc là où il se tient après huit ans de carrière : sur la crête instable qui sépare la ferveur scénique du besoin de respirer. Il l’admet, son besoin crucial de retrouver sa vie, d’être de nouveau dans le contrôle. Pourtant, le chanteur refuse de troquer l’ivresse pour le cynisme : rassembler à Ivry 40 000 personnes, ou à l’U Arena 80 000, n’est pas qu’un exploit comptable, c’est la preuve qu’un même refrain peut toucher « les petits et les grands » et rappeler que la France sait encore chanter l’amour d’une seule voix. Demain, c’est sous la nef symphonique de Red Bull qu’il promet de rendre hommage à l’orchestre qui l’accompagnera et d’offrir une performance vocale sensationnelle. On le prévient, le rôle-modèle colle à la peau ; il sourit, répond qu’il « veut juste faire du son », mais consent à porter l’étendard afro love si cela aide la nouvelle génération à croire au R&B. On se dit au revoir, avec la conviction qu’une ballade peut encore changer l’humeur d’une ville.
Red Bull Symphonic, le 10 novembre 2025, Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Pour la première fois, Red Bull Symphonic pose ses valises en France pour une édition exceptionnelle. Ce format emblématique réunit deux mondes que tout semble opposer : un R&B aux couleurs afrobeats et la puissance orchestrale de la musique classique.
Depuis 2020, ce concept a vu naître des shows inédits aux quatre coins du monde, de Metro Boomin à Rick Ross, en passant par Kabza De Small. Chaque édition donne lieu à une performance unique portée par un ou une artiste iconique et un orchestre symphonique. Cette année, c’est l’Orchestre Lamoureux qui sera aux côtés de Tayc, tandis que Franck Boom officiera en tant que directeur musical.
IG : @tayc

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Red Bull Symphonic Paris x Tayc

Lors du Red Bull Symphonic, Tayc, l’Orchestre Lamoureux et Franck Boom (direction musicale) ont retourné le Théâtre des Champs-Élysées pour la première édition de l'événement en France.

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