Le caster Tweekz dans les locaux de la chaîne esport OTP, le média le plus suivi sur Twitch en 2022.
© Chloé Ramdani
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Tweekz : caster senior

À 34 ans, Kevin « Tweekz » Remy est une figure de l’esport français. Guidé par sa passion, il commente les compétitions de LOL depuis dix ans, et s’est battu pour. Immersion chez un caster.
Écrit par Eva Martinello
Temps de lecture estimé : 20 minutesPublié le
Les murs du Zénith de Lille tremblent. Le public est en effervescence. Il fait des holàs et crie pour accueillir l’élite de l’esport sur League of Legends. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils voient leurs joueurs préférés, leurs idoles, en vrai. Derrière eux, l’ordinateur des commentateurs vibre et se déplace sur le bureau par l’impulsion de la foule. Les casters anglophones et français ne s’entendent plus parler. Le chef d’orchestre de la foule, c’est Tweekz. Il commente son premier grand événement physique et a troqué ses T-shirts geek pour un costard. Malgré l’épuisement, après huit heures de cast par jour, il ne ressent pas la fatigue : les fans en délire lui envoient une énergie explosive.
Tweekz et Chips dans les locaux de Webedia en 2019, commentent un match de LFL (la ligue française de League of Legends).

Tweekz et Chips commentent un match de LFL

© Chloé Ramdani et Timo Verdeil

Un visage de l’esport français

Ce tournoi a lieu en 2013. C’est le premier à réunir les meilleurs joueurs européens du jeu vidéo League of Legends dans une salle de concert en France, et après ses dix ans de cast, Tweekz le considère encore comme son meilleur souvenir de carrière. Tweekz y est présent en tant que commentateur, avec son collègue Gaston « Lege » Bruyère-Pirot. Leur rôle est de commenter en duo tous les matchs en direct pour la foule sur place, mais aussi via une retransmission en streaming, pour les spectateurs devant leur écran. Les joueurs présents à cet événement de 2013 sont aujourd’hui des figures du milieu, et Tweekz n’y fait pas exception. « C’était hyper effrayant, mais fou aussi. Les gens criaient avec nous huit heures d’affilée. Les casters internationaux n’en pouvaient plus de ce bruit, ils faisaient n’importe quoi ! C’était comme du foot. Je me suis dit : “C’est ce que je veux faire de ma vie” », nous confie-t-il avec émotion. Pour revenir sur son parcours, il reçoit The Red Bulletin là où il passe la majorité de son temps : le studio d’OTP, qui retransmet et commente les compétitions officielles de LoL. Une petite pièce divisée en deux : le banc des casters trône sur la gauche avec un écran à l’arrière un autre devant eux, pour regarder le match en direct près de la caméra. De l’autre, des fauteuils sont installés dans un plus grand espace, derrière un grand écran, pour accueillir les invités entre les matchs. La régie est dans une pièce séparée du studio, où l’on trouve toujours plus d’écrans et une grande table de mixage.
Les gens criaient avec nous huit heures d’affilée. Je me suis dit : “C’est ce que je veux faire de ma vie.”
Pendant les émissions, Jean-Philippe « Karnage » Coto, co-fondateur d’OTP et producteur, s’assoit dans la régie et maintient une constante communication avec le présentateur pour lui dire quand lancer les sujets ou passer à la pause. La structure d’un jour de matchs est similaire au sport traditionnel. Comme en Ligue 1, les commentateurs commencent l’émission en expliquant le programme, les enjeux des matchs à venir et font monter la tension. En plus de commenter les parties en direct, OTP invite divers intervenants : des experts, appelés analystes, pour énoncer leurs pronostics avant un match, puis en faire le débrief quand il se termine. Relancés par le présentateur, les analystes reviennent sur les moments forts du match et les conséquences du résultat dans le classement de la ligue. Ces experts sont des joueurs professionnels, des entraîneurs ou encore les commentateurs eux-mêmes, questionnés sur des sujets pointus. Et, fort de son expérience, Tweekz peut occuper tous les rôles sur le plateau.

Caster senior

À 34 ans, Tweekz est considéré comme l’un des pionniers du cast français sur LoL. Pourtant, ses collègues, amis et associés Fabien « Chips » Culié et Charles « Noi » Lapassat, sont ceux qui sont le plus souvent mis sous les projecteurs.
En effet, le duo a fondé la chaîne qui deviendra la référence dans son domaine, O’Gaming LoL, en 2011. Tweekz commence sa carrière en même temps qu’eux, mais gravite dans des chaînes concurrentes et ne les rejoint qu’en 2016. Guidé par sa passion, Tweekz joue un rôle essentiel pour les amateurs d’esport : il est la voix qui accueille le spectateur et qui le guide au cours d’un match, pour vulgariser, comprendre et le faire vibrer. En parallèle, il présente l’émission d’actualité esport, beIN eSports sur la chaîne de TNT beIN pendant cinq ans. Il y rencontre des commentateurs du sport traditionnel qui l’inspirent pour élever son art. « J’ai pu leur demander des conseils. On a repris les mêmes codes de color caster et play-by-play dans un match. » Cela correspond aux deux rôles traditionnels de commentateurs sportifs : le caster play-by-play commente l’action comme elle se déroule, alors que le color caster prend la parole dans les moments plus lents.
En 2019 lors de la finale de la LFL, la team LDLC y affrontait les Misfits Premier.

En mode explosif lors de la finale de la LFL

© Chloé Ramdani et Timo Verdeil

Au cours de ses dix ans de carrière, le vétéran a tout commenté sur LoL, de la plus petite compétition locale aux finales mondiales à Bercy, devant un public de 9 000 fans. Son profil brille par sa polyvalence grâce à ses expériences diverses, ce qui le dirige vers un rôle hybride qu’il qualifie de « caster senior », soit commentateur expérimenté. « Dans ce rôle, tu dois être capable d’être le leader sur une émission, donc pouvoir assumer n’importe quel rôle : commentateur, analyste, et host. Le host est le présentateur, donc il fait l’ouverture du show et la gestion de la parole. C’est aussi un passeur de plats », nous explique Tweekz.
C’est un rôle qu’il assume très souvent chez OTP. « Tu dois mettre en valeur toutes les spécificités des profils que tu as dans ton émission, comme un analyste pur qui a une expertise, mais doit être lancé sur son sujet pour en parler. Il faut pouvoir le mettre en avant... mais il faut aussi gérer le rythme de l’émission : du genre : “Parle, sois beau, tu es fort, mais en même temps, dans trois minutes quinze, je te coupe parce qu’on doit lancer la pause.” Donc tu es le visage d’accueil et celui qui pose le rythme, mais tu dois aussi te mettre en retrait pour faire briller toutes les spécialisations de l’émission ! »

Façon NBA

Au fil des années, Tweekz a aiguisé son style et trouvé sa place. Quand il commence en 2011, il y a peu de références de casters dans l’esport. Tous posent leur pierre à l’édifice et découvrent le métier alors que l’esport bourgeonne dans le monde. Alors, le passionné s’inspire d’une autre discipline. « La NBA était une référence pour moi, raconte-t-il. Le rythme des matchs ressemble beaucoup à LoL : ça se joue à cinq, avec des rythmes frénétiques et des moments de repos. Les buzzer-beater rappellent les contestations de Nashor qui se jouent au pixel-près... »
Le buzzer-beater est une action spectaculaire dans le basketball. Cela fait référence à un tir lancé juste avant que le chronomètre s’arrête, et où le ballon tombe dans le panier après la fin du round. Le Baron Nashor, sur LoL, est un monstre qui donne un atout extrêmement puissant à l’équipe qui lui assène le dernier coup. Quand deux équipes combattent le monstre en même temps, le joueur qui parvient à retirer le dernier point de vie du Nashor a le potentiel d’offrir la victoire à son équipe par sa seule action. Pour y parvenir, un joueur de chaque équipe dispose d’un pouvoir appelé le « châtiment » qui inflige de lourds dégâts à ce monstre. C’est ce joueur qui a la responsabilité d’achever le Nashor. Mais quand ces joueurs le ratent, il peut être « volé », c’est-à-dire qu’un autre pourra asséner le dernier coup au monstre et prendre l’atout majeur pour son équipe.
Quand un buzzer-beater est marqué en NBA, les commentateurs s’égosillent et le public exulte. Sur LoL, un « vol » de Nashor provoque la même ferveur dans la salle. Les fans sautent sur leur siège et brandissent leurs drapeaux, les joueurs crient devant leur écran sur la scène et les commentateurs hurlent dans leur micro. Ces moments forts deviennent historiques.
Tweekz aime s’imprégner des émotions, comme ce qu’un fan ressent devant son écran, et les verbalise. Son visage s’illumine quand il explique la ferveur qu’il ressent en regardant un match de LoL. D’ailleurs, quand il pose son casque et quitte le studio, il regarde d’autres matchs sur son temps libre. Sa passion est inextinguible. « On me reproche souvent d’en faire trop. Mais je suis comme ça ! Je vis les émotions à fond. Quand tu vois les remontada incroyables dans l’esport, ça donne de l’espoir, ça montre que tout est possible. Et c’est en commentant des matchs dans des salles que je me suis rendu compte que ce que les gens préfèrent, c’est d’avoir cette montée d’intensité en partie, ce moment palpitant qui arrive, un peu comme quand on regarde une série à suspense. »
Le caster esport Tweekz, photographié par Chloé Ramdani, en février 2023 à Paris.

Tweekz et son outil de travail

© Chloé Ramdani

Addict au cast

Pourtant, devenir une personnalité publique et travailler devant la caméra n’a pas toujours été évident pour lui. « Avant, j’étais quelqu’un d’hyper introverti. J’avais trop de complexes pour me livrer aux gens et l’esport m’a permis de me libérer », raconte-t-il. Le jeu vidéo était une passion de gosse. Il se décrit comme « le premier spectateur Twitch », en expliquant qu’il regardait son grand-frère de huit ans son aîné jouer pendant des heures sur la console sur des jeux comme Metal Gear Solid et Final Fantasy VII, puis sur PC, à la manière d’un fan de jeux vidéo qui regarde son streamer préféré. « J’avais déjà cette posture de spectateur et plus tard, cette fibre m’a donné des facilités pour le cast. »
Quand Tweekz découvre les jeux en ligne, rares sont les foyers équipés d’une connexion et d’un ordinateur en France. « J’ai tout de suite adoré les jeux en ligne. Mettre des doses à des gens que tu connais pas, c’était vraiment l’euphorie. J’ai tout de suite été compétitif sur World of Warcraft, j’étais dans le top européen pendant des mois », raconte-t-il. World of Warcraft est un jeu massivement multijoueur (MMORPG) en monde ouvert où les joueurs incarnent un personnage dans un monde médiéval-fantastique. Sorti en 2004, le jeu américain, édité par Blizzard Entertainment, propose une sorte de seconde vie, avec des quêtes, des combats, des fonctionnalités sociales et des guildes. Depuis, le jeu a rassemblé plus de cent millions de joueurs et reste une référence du genre. C’est d’ailleurs grâce à ses performances compétitives en PvP (combats entre joueurs) que Tweekz se fait ses premiers contacts qui le conduiront à son premier emploi chez Millenium, en 2013. Mais avant, il découvre un autre jeu en ligne compétitif : League of Legends. Tweekz accroche instantanément à son gameplay complexe. Son éditeur, Riot Games, affiche de grandes ambitions, mais le succès n’est pas immédiat.
Les remontada incroyables dans l’esport, ça donne de l’espoir, ça montre que tout est possible.
Tweekz
Rien ne prédit que dix ans plus tard, LoL génèrera un millard de dollars par an et rassemblera 120 millions de joueurs dans le monde. Mais Tweekz est à fond ; il se hisse au sommet du classement européen en disputant des parties classées, avec des alliés et ennemis choisis au hasard sur les serveurs en ligne. Pour faire partie des meilleurs, il doit avoir de parfaites connaissances sur le jeu et en maîtriser la stratégie. Puis, de plus en plus de joueurs s’y mettent, tentés par l’envie de tester leurs capacités. Tweekz participe à des compétitions locales comme amateur, « pour le bon délire, l’esprit de guilde », et il y découvre le cast par hasard, entre LoL et d’autres jeux compétitifs. Il commente des premières parties pour ses potes dans l’un de ces tournois. Les joueurs agglutinés derrière l’écran des équipes finalistes ne peuvent pas tout voir, et il décide de commenter l’action en direct pour ses potes qui sont placés trop loin. Et puis, « l’addiction vient en le faisant ». Il prend un micro et commente sur PC pour des spectateurs à distance. Il va dans des tournois plus grands et commente des finales sur scène, devant quelques centaines de spectateurs et retransmis sur internet. Le cast prend une place croissante dans son quotidien.

Harcèlement constant

Kevin se lance dans une double-vie, façon super-héros : le jour, il est étudiant en M2 Commerce International, et le soir, il se transforme en caster esport flamboyant. Il commente des « cups » appelées Go4LoL, des tournois hebdomadaires ouverts à tous et organisés en ligne par la communauté, qui accueillent des équipes de toute l’Europe, pour la plupart sponsorisées par des entreprises privées. Il n’y a pas encore du direct ; Tweekz revoit un match, le commente et le poste ensuite sur Dailymotion. « J’allais au bureau de ma mère après les cours. Il y avait un PC et je pouvais crier comme je voulais. On était trois, c’était du gros fait maison ! On castait à deux avec mon collègue, et une personne en plus gérait le pov (point de vue sur l’écran, ndlr). Il y avait souvent des retards. Genja et Edward jouaient de Sibérie, par exemple, et donc avaient un gros décalage horaire. On finissait à des heures pas possibles ! »
Tweekz diffuse les casts pour la chaîne Millenium. À ce moment-là, les cashprizes sont modestes. Souvent, on ne gagne que du matériel informatique ; il n’y a même pas de quoi rembourser le voyage pour les équipes. Quand il y a mille euros sur la table, les meilleurs joueurs européens affluent. C’est une petite niche, mais Tweekz est passionné. S’il a la moindre chance de pouvoir en faire son métier un jour, malgré la précarité et l’avenir flou du jeu, il s’y lance à fond et ses efforts finissent par payer. Son diplôme en poche, Tweekz décide de se réorienter et intègre Millenium en 2011 à plein temps, l’une des premières Web TV en France qui diffuse du contenu multi-gaming sur Dailymotion (l’ancêtre de Twitch), en tant que spécialiste de LoL. Il y fait du cast, mais y est aussi présentateur, streamer et manager d’équipe compétitive.
Être en doute professionnel, quand tu vis un drame familial, ça te met au fond.
Tweekz
Tweekz trouve son « clan » : le local de la TV est une villa près de Marseille où l’on vit, mange et travaille ensemble. Il bosse, respire, dort esport. Il est complètement immergé dans sa passion, dont il peut enfin vivre. Mais tout n’est pas rose. « Quand je suis arrivé devant la caméra, j’étais en surpoids et je me suis fait massacrer », nous confie-t-il. Les réactions sur les réseaux sociaux et le chat sont tranchantes. Ce dernier subit un harcèlement constant pendant plus d’un an. « C’était dur et plus virulent, car les chats étaient complètement anonymes et éphémères. Quand tu vois les choses pourries qu’on t’envoie, tu comprends si tu es capable de faire ce métier ou pas. » Malgré les difficultés, Tweekz poursuit son chemin. Avec le soutien de ses collègues, Doigby et ZeratoR, il ne lâche rien. Ces derniers sont d’autres figures émergentes du streaming en France et font aussi face à du harcèlement en ligne. Alors que Tweekz restera dans l’esport pur, Arif « Doigby » Akin deviendra ensuite un animateur de jeux vidéo compétitifs, comptabilisant plus d’un million d’abonnés sur YouTube et sur Twitch aujourd’hui. Adrien « ZeratoR » Nougaret, quant à lui, se tournera vers le multigaming ; il sera l’un des premiers streamers indépendants sur Twitch et deviendra un pilier du streaming français, organisant notamment l’un des plus grands marathons caritatifs de gaming dans le monde, le ZEvent, depuis 2016.
Kevin « Tweekz » Remy est une figure de l’esport français.

Tweekz

© Chloé Ramdani et Timo Verdeil

Le jeu change en permanence grâce aux mises à jour : j’ai toujours la passion !
Tweekz

Le doute

Le chemin de Tweekz se séparera plus tard de Doigby et ZeratoR par sa passion pour LoL. « Ils ont tous les deux finis par devenir streamers indépendants. C’est vraiment Twitch qui a légitimé le fait d’être indépendant et de le rester, car jusque-là, c’était que des Web TV. Twitch a créé les empires qu’on connaît aujourd’hui. » Frustré par le manque d’investissement donné au MOBA (Multi-player online battle arena, un genre du jeu vidéo), la chaîne se dirigeant vers du multigaming, il part au Royaume-Uni , à Ashford,avec plusieurs collègues dont ZeratoR en 2013. Ils rejoignent la Web TV concurrente Eclypsia, qui souhaite mettre plus de moyens dans sa chaîne LoL. «C’était difficile de partir, je n’aurais pas eu l’audace de le faire seul. J’avais beaucoup de mal avec le changement et l’affectif a toujours pris une part importante dans ma prise de décisions professionnelles. » Mais le rêve se craquelle : très vite, les propriétaires de la chaîne décident de se tourner vers du contenu plus généraliste et Tweekz est relégué au second plan avec LoL, alors que ses émissions génèrent de bons chiffres pour l’époque (entre 4 000 et 8 000 vues). Le jeu est prometteur, mais n’est pas encore un poids lourd du gaming. Pourtant, le caster a tout lâché pour ce projet. « Être seul en Angleterre, dans une ville vide, je l’ai vécu difficilement. » Il entre dans une période de doute. C’est alors qu’un drame remet tout en perspective.
« J’ai perdu mon père et j’ai mis six mois à sortir de ma bulle, nous explique Tweekz. Je n’étais plus moi-même. » Malgré le deuil, il décide de poursuivre sa passion. « Être en doute professionnel, quand tu vis un drame familial, ça te met au fond. » Mais Tweekz prend le contre-pied de la situation. « Quand tu remontes, t’es dans cette mentalité où tu n’as plus rien à perdre. Tu n’en as rien à péter de ce que pensent les autres », confie-t-il. C’est alors qu’il décide de quitter Eclypsia pour retourner chez Millenium, dont les locaux ont déménagé à Paris via le rachat de la société par le géant du digital Webedia. Avec ce rachat en 2015, Millenium affiche des ambitions beaucoup plus importantes. On lui promet un job de rêve, dont un local professionnel pour faire du streaming et du cast, ainsi qu’une « arène » pour organiser des tournois en physique à Paris, accueillant compétiteurs et spectateurs.

Un pari

Mais une fois encore, les choses tournent au vinaigre. Les promesses ne sont pas tenues. Tweekz travaille dans un placard derrière le parking, avec l’odeur des pots d’échappement et une climatisation qui ne fonctionne pas. Lui et d’autres collègues, comme Xavier « Mister mv » Dang, sont en pleine désillusion. Le streamer, excédé, redeviendra définitivement indépendant un an plus tard, où sa chaîne multigaming décollera sur Twitch. Tweekz se retrouve au pied du mur et se résout à rejoindre la concurrence : O’Gaming, en tant que freelance. C’est l’une des seules Web TV en France qui diffuse 100 % d’esport. Sa chaîne LoL détruit la concurrence, portée par Chips et Noi. Tweekz troque la sécurité de l’emploi pour une mission sans filet. Cette fois, c’est bien son dernier recours. « J’ai toqué à la porte d’O’Gaming, mais j’ai pensé à arrêter. J’avais un diplôme donc j’ai fait ce pari. »
Tu n’as personne pour te dire si ce que tu fais est bien ou non. Je souffre du syndrome de l’imposteur.
Tweekz
Sa dernière chance paie. OG investit de plus en plus de moyens dans LoL et devient le partenaire privilégié de Riot Games, qui ouvre son bureau français en 2016. Tweekz est enfin lancé. Les audiences explosent et les compétitions se multiplient. OGTV LoL devient une machine bien huilée, qui comporte une dizaine de casters. Tweekz cimente sa réputation de référence française avec ses deux comparses. Il acquiert quelques expériences dans la TV, chez beIN Sports. Il fait un tournoi international au Zénith de Paris en 2018. Puis la finale mondiale à Bercy l’année suivante. LoL devient la première discipline esport au monde.
Les commentateurs Noi, Tweekz et Duke en 2019 lors de la finale mondiale de LoL à l’Accor Arena : une folie !

Noi, Tweekz et Duke lors de la finale mondiale de LoL à l’Accor Arena

© Chloé Ramdani et Timo Verdeil

En 2020, la majorité de l’équipe LoL quitte O’Gaming pour fonder sa propre Web TV 100 % consacrée à LoL : One Trick Production (OTP). Le but est toujours le même : donner la priorité à son jeu favori. Car la passion de Tweekz pour le jeu est intarissable. Après plus de dix ans de métier, il passe encore ses journées à commenter des matchs et en regarde plus sur son temps libre. « J’ai toujours la passion ! Le jeu change en permanence grâce aux mises à jour. Mais surtout, avoir intégré O’Gaming a tout changé pour moi. J’ai découvert des personnes qui aimaient autant le jeu que moi, alors que tous les autres s’étaient lassés », explique-t-il.

Se réinventer

Désormais, Tweekz pense à « passer le flambeau ». Mais pas de suite. « On a une nouvelle génération de casters qui s’établit chez OTP, comme TraYtoN et Zerotick. Ils ne sont pas encore prêts à tout reprendre, mais ils sont là et grandissent », en faisant référence aux derniers à avoir rejoint l’équipe. « OTP m’a donné un nouveau souffle. J’ai envie de travailler pour ce bébé, et même en tant que caster, je suis un éternel insatisfait. » Tweekz dit ne pas avoir fait le tour. Il se trouve des défauts et se force à revoir ses vidéos pour s’améliorer, encore et toujours.
« Tu es obligé de faire ce boulot d’introspection parce qu’il n’y a personne pour te dire ce que tu fais de bien ou non. Je souffre du syndrome de l’imposteur parce qu’il n’y a pas de référence dans mon milieu, Chips et Noi sont ceux qui me donnent des conseils. » En effet, ce sont eux trois qui ont tracé le chemin du cast esport en France, mais aussi à l’international. Leurs comparses anglais, espagnols ou encore coréens ont autant d’expérience qu’eux sur LoL, sorti en 2010. Chips, Noi et Tweekz se challengent donc entre eux. « C’est difficile, ton ego peut partir en vrille. C’est là que le fait qu’on soit collègues, associés et amis est une grande qualité : dès que l’un de nous part en vrille, on se le dit. Inversement, on se soutient dans les moments difficiles. » L’esport est une discipline encore jeune, comparativement au sport traditionnel. Et bien que s’en inspirer ait beaucoup apporté aux professionnels, la comparaison a ses limites.
Au fil des années, l’industrie du sport électronique gagne en maturité et réinvente ses propres codes. Et LoL, le jeu numéro 1 de l’esport, est encore loin de s’essouffler. Tant qu’il perdurera, Tweekz ne sera jamais très loin.

C’est quoi, LoL ?

League of Legends est la discipline référence de l’esport dans le monde. Il s’agit d’un jeu de stratégie qui se joue par deux équipes de cinq. Elles s’affrontent sur une carte appelée la Faille de l’Invocateur où chaque joueur incarne un person- nage, son « champion », qui a des pouvoirs magiques uniques. Le but est d’atteindre la base adverse et de la détruire, dans une partie de 20 à 50 minutes en moyenne. Créé en 2011, le jeu compte plus de 100 mil- lions d’utilisateurs dans le monde

Un circuit de compétition structurée

Tweekz avec son compère Noi, pour la finale LFL en 2019.

Avec son compère Noi, pour la finale LFL en 2019

© Chloé Ramdani et Timo Verdeil

La scène esport comporte plusieurs niveaux, des « divisions », comme dans le football. Le championnat européen, appelé LEC, est au sommet et rassemble les dix meilleures équipes du continent. De janvier à août, elles s’affrontent pour faire partie des deux à trois équipes qualifiées au mondial, qui a lieu tous les ans en octobre. En-dessous, plusieurs pays ont leur championnat national. En France, il se nomme la LFL, créé en 2019, et oppose dix équipes sur une saison qui s’étend de janvier à juillet. La chaîne OTP LoL, co-fondée par Tweekz en 2020, retransmet tous les matchs du LEC et LFL en français sur Twitch, ainsi que son niveau inférieur (la Division 2) et le championnat sud-coréen (LCK), car il offre le meilleur niveau de jeu au monde. En tout, la chaîne diffuse du contenu 7 jours sur 7. Cela représentait plus de 5 millions d’heures visionnées sur un total de 615 heures de diffusion sur le mois de janvier 2023 (source : Twitchmetrics).