Gaming
C’est l’histoire d’un jeu vidéo devenu iconique avec un doigt dans le nez, accompagné d’une consigne sibylline : « Cherche ! » ou « Enfonce » ! Le microjeu est nommé « Chercheur d’or » et a scellé l’aura d’une série qui, sans trop le savoir, installe un concept sur plus de quinze ans. L’une des identités récentes (comprendre : moins de vingt ans) les plus fortes de Big N, dont le prochain — et dernier, pour le moment — sera Splatoon et son épatante direction artistique, désolé aux fans d’ARMS s’ils existent. Après les mini-jeux de Mario-Party, Nintendo et Intelligent Systems, les petits génies de la pensée latérale, ont conçu le microjeu. Une pastille qui vous donne à peine le temps de comprendre ce que vous devez faire et de l'exécuter. Le concept est redoutable.
Tout commence en 2003, année bénie du medium, avec un jeu d’abord conçu par l’équipe de recherche & développement de Nintendo. Ware Ware : Mega Microgames est le top départ pour une nouvelle franchise qui donnera enfin un univers à Wario. Durant la décennie qui précède, le personnage n’était qu’un antagoniste-fonction pour Mario, et seul le récent Warioland 4 permet de confirmer une trajectoire d’antihéros de plate-forme. Cette fois, Wario a son propre lore, il perd en méchanceté pour la troquer en consistance, et nous de gagner une vingtaine de personnages rigolos dans le change. Pour remplir le rôle, il fallait quelqu’un d’un peu crétin, de pas foncièrement antipathique, mais une grosse feignasse nonobstant. Le scénario de Wario Ware est fantastique : Wario veut, comme toujours, devenir riche, et se lance dans le développement de jeux vidéo. Mais c’est un fainéant de première et il ne code que des titres de quelques secondes, puis il invite tous ses potes à sous-traiter. Un casting varié, adorable, l’un des plus fournis de chez Nintendo. Il est un poil étonnant qu’aucun d’entre eux ne soit devenu un personnage jouable dans un Smash Bros.
La première partie de Wario Ware : Mega Micro-Games a un petit je-ne-sais-quoi de mirifique et d’inoubliable. Wario saute dans son guetto-blaster, et soudainement, le tout premier micro jeu se lance. La mention « Attrappe ! » vous est lancée à la figure. L’antihéros est attablé à un bar, claque des doigts, et une bière glisse sur le comptoir. Dans un réflexe reptilien, vous la rattrapez en pressant A, et le reste n’est qu’histoire du jeu vidéo. Le jeu vous balance des saynètes de plus en plus rapides, et de plus en plus dures, jusqu’à ce que pertes de vies s'ensuivent. Dans les faits, et c’est aussi le but d’un Wario Ware de vous le faire oublier, vous faites toujours un peu la même chose en termes de gameplay. Mais l’énergie et le peps légendaire de ce premier jeu — ces petits jingles irrésistibles entre les pastilles, mâtinés de scénarios sans aucun jamais rapport avec la choucroute qui accompagnent les personnages — en font la première pierre d’une saga déviante et iconoclaste.
Nintendo savait probablement qu’ils tenaient un concept en béton, et ils ont installé de nombreuses constantes qu’on retrouvera dans tous les jeux. Chaque personnage incarne sa « thématique » de pastilles, et parfois, une tranche spécifique de gameplay. La lycéenne Mona a les jeux du quotidien, le funky-fresh Jimmy T. s’occupe de la théma sport, l’alien Orbulon a les jeux de logique… und so weiter. Jusqu’à 8 — Volt, le fana de Nintendo, dont les microjeux célèbrent l’histoire de la saga. Wario Ware, c’est aussi rejouer aux classiques de Big N, ne serait-ce que pour quelques secondes, et chaque nouveau titre devient indirectement une célébration d’un morceau de chronologie du jeu vidéo. Très vite, l’ensemble n’a pas peur de verser dans l'auto référentiel et se permet même de créer son jeu dans le jeu, la saga Pyoro, un petit titre addictif qui, sur Terre 3, est devenu notre Tetris.
Wario Ware met aussi beaucoup d’emphase à mettre un décorum sonore et graphique assez poussé, pour accompagner le joueur et insuffler du rythme, les professionnels de la profession parleraient de « juice ». Il faut dire que c’est la même boite qui a aussi rendu la saga Rythm Tengoku (Heaven, Paradise et compagnie en Occident), ce qui préfigure d’un sens aigu du rythme, au sens figuré et littéral. Chaque opus a son petit thème musical, généralement adorable, et un personnage y a droit par volume.
Enfin, et c’est, j’en suis sûr, quelque chose qui attirera votre attention, la direction artistique des jeux est… inégale, surtout sur Game Boy Advance où les limitations techniques sont évidentes, mais la patte Wario s’identifie vite. Gogues, faïence, water-closets, trône et toilettes en tout genre. Un microjeu par titre consiste à mettre un doigt dans un nez ou de dérouler un rouleau de papier-chiottes. L’humour est à la fois très régressif et très carré, nous sommes bel et bien dans un produit japonais.
Le jeu est bien reçu par les critiques, qui louent son rythme d’enfer et ses sensations réellement nouvelles. Elles n’éludent pas des défauts évidents : des graphismes d’une grande pauvreté (sur Gameboy Advance, c’est une performance) et une durée de vie beaucoup trop courte. Hélas, c’est inclus dans le package : il n’est pas incongru de voir le générique final des jeux dans la première session. Impossible de conjurer le sort sans multiplier le contenu et offrir plus d’un millier de microjeux, ce qui essorerait joueurs, créativité et développeurs.
Une console, un jeu, un gimmick
La légende est née, mais il est difficile de la décliner sans tomber dans la redondance. Même si chaque saynète a son propre style visuel, son scénario et sa musique, souvent unique — c’est un travail de titan, on l’aura compris — on ne peut pas sortir d’autres packs de micro jeux sans réelle nouveauté. Il se trouve que Nintendo est une entreprise portée sur l’accessoire et le gimmick, et la suite des événements s’est imposée d’elle-même. À chaque nouvelle console sa manière de jouer et son revirement de gameplay, excuse pour retravailler le concept tout en gardant les fondations. Pardon, un jeu par console ? C’est le cas si vous aviez la goujaterie d’être européen, car le second jeu, pourtant exceptionnel, n’est jamais arrivé en nos terres. Wario Ware : Twisted, lui aussi sur Game Boy Advance, avait un capteur de mouvements dans sa cartouche. Et à l’inverse du mollasson Yoshi Universal Gravitation, qui ne captait que trois positions précises, le gimmick marchait parfaitement bien et était en avance sur son temps ; probablement l’une des plus grosses bizarreries de GBA avec le capteur solaire de Boktai. Même si très peu de « catégories » utilisent les boutons et se suffisent des mouvements, l’ensemble et toujours aussi bon et rythmé. La pêche ne s’en va pas et il est impossible pour un Français de ressentir la joie de jouer avec la gravité avant Wario Ware Gold, une compilation sur 3DS qui regroupe trois manière de jouer : boutons, mouvements et écran tactile.
La Nintendo DS sort en 2005, et Wario Ware : Touched, cette fois par Intelligent Systems, profite de l’écran tactile, des deux écrans et consacre même tout une section au micro. Chaque personnage incarne un type de mouvement de stylet, le gameplay dépend, on ne peut plus littéralement, de votre dextérité. C’est donc l’opus le plus satisfaisant en termes de « retours ». C’est l’exact inverse qui se produit en 2007 avec Smooth Moves, sur Wii. Qui dit Wii ajoute « mote », cette fois, tout se fait avec sa télécommande magique en main, avec pour consigne une position préalable. Ces dernières sont introduites par une voix iconique et sensuelle qui a fait la joie des traducteurs du monde entier. Tiens le bâton de style sur le côté et empoigne les deux extrémités. C’est comme faire de la bicyclette, il faut un bon équilibre… et un short moulant. Pardonnez-moi, je suis tout chose.
Un jeu qui inverse le rapport entre le joueur, l’accessoire et l’écran, mais assez réactif pour que l’illusion de retour soit là. À partir de ce point, il sera difficile pour Intelligent System de vraiment innover. Do It Yourself est un jeu discret qui permettait de construire ses propres pastilles, et de les faire interagir avec une version Wii. Et en 2013, la tentative Wii U n’en est pas vraiment une, Game & Wario n’est qu’une tentative de faire quelques mini-jeux sans rapport avec l’ADN de la saga. Il est incompréhensible que le titre ne soit pas offert avec la console, ou, du moins, pas vendu à moitié prix, mais les arcanes de Nintendo sont impénétrables dès qu’il s’agit de chiffres.
Qu’importe, cela fait déjà un socle de quatre premiers jeux canoniques, complets, tous définis par leur gameplay et donc fortement ancrés dans leur époque et la chronologie du medium. La mythologie de Wario Ware est grandissante, son casting grandit et le chara-design est au top niveau. Les morceaux de musiques cultes s’alignent : la chanson de la sorcière Ashley, Body Rock, Tomorrow Hill. Plus qu’un concept, c’est un oasis de fraîcheur qui ne se tarit jamais vraiment.
Partager la manette, puis les Joy-Cons
« La partouze vidéoludique ». Véritable blurb de publicité parue dans la presse pour kids du début des années 2000, avec un Wario qui s’excusait d’être associé à une telle formulation, mais néanmoins, cette pub a existé et est imprimée à jamais dans ma mémoire. S’il faut effectivement faire usage, parfois intense, de son corps dans la version Gamecube de la saga sortie en 2004, tout est fait en bonne intelligence. Wario Ware : Mega Party Game $ est la plus belle tentative de version multijoueurs que peut offrir la saga, et une formidable réponse à ce défi logistique et créatif. Il reprend tous les micro jeux de la Game Boy Advance, tous conçus pour un usage solo, et se pose la question « comment rendre fun le fait de jouer chacun son tour ? ». Et il y répond, le sagouin : en appliquant l’ADN crétin dans l’habillage et les règles. Le rire franc vient automatiquement.
Ware Ware : Mega Party Game$ propose une huitaine de mode de jeux dont la plupart se font à quatre, manettes en main. À une époque où des The Legend Of Zelda : Four Swords demandent quatre personnes, GBA et câbles pour une expérience de jeu optimum mais compliquée à atteindre logistiquement, Wario Ware reste fidèle à ses promesses et mise sur l’inventivité. Jouer jusqu’à ce que mort s’ensuive, mais aussi en répondant à des consignes physiques débiles, puis gagner à l’applaudimètre. Ou décliner d’autres jeux, dont les manches se perdent et gagnent avec les micro jeux du titre original. Un faux jeu de cartes, un faux Othello, des règles plus délirantes où tous les coups sont permis pour pourrir l’adversaire. Des épreuves à la fois simples, mais suffisamment connes et bien emballées pour fonctionner. Le titre est confidentiel, peu ont la chance de posséder ce minidisque bleu azur. Il n’a pas particulièrement vieilli et il suffit d’une Gamecube pour retrouver les proto-sensations de ce que la société Jackbox propose aujourd’hui, avec moins d’appareils génitaux à dessiner, et plus de nez à remplir.
Le multijoueur est d’ailleurs un pilier de gameplay de Get It Together, qui vient de sortir sur Switch. Annoncé distraitement lors de l’E3 2021, c’est le premier véritable opus complet depuis 2007. Les Joy-Cons détachables constituent une source d’inspiration évidente, mais pas de motion gaming qu’on aurait pu de nouveau attendre au tournant. Le concept est hybride : cette fois, vous incarnez directement les personnages à l’écran, et c’est avec ce proxy que vous interagissez avec les éléments. Ce qui a clairement dû donner des sueurs froides aux développeurs, puisque le casting monte à 20 personnages, qui ont tous des manières de jouer sensiblement différentes (sauf Penny, dont la maniabilité tend vers l’oulipien, tant et si bien qu’elle a son mode à part… et sa chanson !). Toutes les spécificités habituelles sont là, plus quelques à-côtés qui lorgnent vers les jeux GameCube. Deux Joy-Cons, cela veut dire deux joueurs, et le tout peut-être partagé pour une expérience toujours plus bordélique, mais réjouissante si tout le monde découvre ce qu’il se passe.
Et comme l’imitation est la meilleure forme de flatterie, il est intéressant de constater que personne n’a réussi à vraiment imiter le concept dans l’industrie, mais que les fans se sont approprié le concept dans la scène indépendante. Regardez, par exemple, Haachama Ware, qui décline la chose à la sauce Hololive, plus grande des écuries de V-Tubeuses.
L’imitation est parfaite, cette vidéo est bel et bien… une vidéo, une petite merveille de pixel-art, qui elle-même est devenue un véritable jeu. Et l’on trouve des traces du genre naissant dans tous les recoins : vous aimez la programmation Pico-8 ou leurs jeux ? Découvrez PICOWARE, le meilleur des deux mondes. De manière plus ou moins explicite, le micro jeu a défini quelques titres de niche. Et si l’avenir du genre (il n’a toujours pas de nom — le WareCore ? Le ware ? Le micro gaming ?) est pendu aux lèvres de Nintendo, on espère que la suite canonique ne mettra pas 13 autres années à venir. J’ai bien peur qu’en 2035, nous devions jouer à Wario Ware : Zone Rouge avec nos Wii Vitality Sensor.
Télécharge ici et gratuitement l’application Red Bull TV pour profiter de nos vidéos, directs et événements de musique et de sports extrêmes sur tous tes écrans !