Rylsee
© @gabriel_balague
Art & Design

Swiss Talents : Rylsee, à la croisée des genres

Ses premiers pas dans le graffiti, son attrait pour la typographie, son amour infini pour le rap et le skate : focus sur l’artiste genevois Rylsee.
Écrit par François Graz
Temps de lecture estimé : 7 minutesPublié le
Stickers “TOO SHY TO RAP”, fresques à la typographie avant-gardiste, GIFs Instagram, beau livre sur le lettrage, marque de textile, installations artistiques complètement barrées et même spot à empanadas niché au cœur de Berlin : à en croire ses différents projets aussi variés soient-ils, le blaze de Rylsee ferait un parfait synonyme au mot éclectique. Du haut de ses 36 ans, le natif de Veyrier ne cesse de multiplier les réalisations et confirme aisément que non, ce n’est pas seulement un hobby.

Troc de croquis et session graffitis à l’Usine

Chaque démarche, même moindre, ne pouvait que me rapprocher de mon rêve, vu que dans l'autre sens il n'y avait que des champs.
Rylsee
Veyrier. Années 90. Dans un immeuble qui marque la fin du village et le début des champs, un gamin s’entraine à croquer ses logos préférés. Cyril aime les lettres, leur typographie et l’infini potentiel créatif qui en découle.
Si bien que celui-ci met rapidement à profit son coup de crayon : « En primaire, certains camarades de classe me demandaient de customiser leur sous-mains de bureau contre des Kinder Bueno. Au cycle, j'échangeais des dessins contre des devoirs de math dans la file des petits pains du matin...». Un troc prophétique dira-t-on, car une vingtaine d’années plus tard Cyril est devenu Rylsee, parcourt le globe pour exposer son art et décroche des mandats prestigieux.
Rylsee

Rylsee

© Rylsee

Le parcours académique du suisse est, tout comme son style, véritablement hétéroclite. Son apprentissage de gestion de vente terminé, Cyril découvre par hasard la voie de l’art déco lors d’une journée portes ouvertes à Genève : « Au cours de cette visite, je rencontre des étudiants qui me disent qu'en gros, ils dessinent toute la journée, apprennent l'animation et se rodent sur des programmes comme Photoshop….Mind Blown! J'arrivais pas à croire que ça existait en fait. »
Bien que son idée première était d’intégrer la HEAD, Cyril juge plus sage de refaire une formation, admettant bien volontiers ses lacunes niveau informatique :
J’avais 22 ans, CFC et maturité professionnelle en poche, donc les « clefs » pour passer direct à la HEAD. Mon seul problème était le suivant : bien que très expérimenté en techniques artistiques, mes skills informatiques se limitaient à Safari et iTunes (rires). Du coup, après réflexion, j'ai recommencé à zéro.
Rylsee
Cyril décide donc de s’inscrire au concours d’entrée de l’école, et en ressort 4 ans plus tard, diplôme de graphiste en poche. Pour ce dernier, la suite logique des choses aurait été d’enchaîner avec la HEAD ou les Beaux-Arts. Se considérant comme un mélange hybride entre artiste et graphiste, Cyril avoue se retrouver dans aucune des deux écoles.
En parallèle de ses études, le Veyrite est un fervent adepte du graffiti. C’est cet art qui va donner un coup d’accélérateur bienvenu à sa jeune carrière. Membre d’un collectif de graffeurs, Cyril se familiarise avec les techniques de peinture à grande échelle, et décide de proposer ses services à l’un des centres culturels alternatifs les plus connus de Genève : L’Usine.
« De nos jours, voir des graffitis sur les murs de l'Usine relève de la banalité. Mais Il faut comprendre qu’à l’époque, le street art n'était pas une forme d'art reconnue comme maintenant, et que même des structures comme l'Usine étaient plutôt sceptiques à cette idée. Mais moi je voulais peindre, alors je leur ai proposé de colorer leurs toilettes. Où est le seul endroit d'un club où l'on est certain que les gens passent au moins une fois? Oui... les toilettes. »
S'en est suivi beaucoup de collaborations avec l'Usine, la Case à Chocs ou encore le Motel Campo, pour lequel il a été responsable des affiches pendant 3 ans. Même si tout se déroulait relativement bien pour Cyril, une problématique a fini par le hanter :
Est-ce que les gens valident mon travail car je conçois des projets de qualité ? Ou suis-je simplement mandaté car les gens me connaissent et me trouvent sympa ?
Après moult introspections, celui-ci décide de s’exiler à Vancouver, là où personne ne le connait, afin de jauger si c’est uniquement une histoire de sympathie. Spoiler : c’est surtout une histoire de talent. Artiste résident à la Red Gate Arts Society - Cultural Wildlife Refuge de la ville canadienne jusqu’à 2011, Rylsee multiplie les expos et les voyages. São Paulo, Tel Aviv, Genève, Paris, Washington DC, Annecy, Bruxelles, Valence, Hambourg, Stuttgart, Santiago, Beyrouth, Vevey, Denver, La Rochelle, Barcelone et enfin son QG depuis 2012, Berlin, lui tendent les bras.

Le cachet Rylsee

Lorsqu’on aborde la fameuse question relative à ses influences, Rylsee admet être davantage matrixé par les choses du quotidien plutôt que des œuvres / artistes. Toujours prêt à dégainer son carnet de dessin au cas où l’inspiration se manifesterait, l’helvète décrit son processus créatif de la sorte : « Je pense à des trucs au bol, puis je me demande qu’est-ce qui serait trippant ou ce qui me ferait marrer. Je griffonne et annote toutes ces idées dans mon carnet. Certaines deviendront des œuvres, d’autres resteront tranquillement dans l'attente de voir le jour, quand d'autres ne quitteront jamais leur état de « sketch d'idée ». J'essaye toujours d'incorporer une touche d'humour à mes œuvres et j’adore voir le côté fédérateur que certains projets prennent. »
Impossible de relater le personnage Rylsee sans aborder deux thématiques bien précises : le rap et le skate. Même si il se définit comme « Too Shy To Rap », l’artiste est en revanche franchement loquace quand il s’agit d’exprimer son amour pour le hip-hop. Le blaze qu’il prononce immédiatement ? Celui de Di-Meh :
On se connaît depuis 15 ans via le skate. Je me souviens encore de ses premiers freestyles au skatepark. Ça me fait tant plaisir de voir son parcours. On a déjà collaboré ensemble et on a récemment causé d'idées design pour la version deluxe de son album Mektoub. Force à toi G!
Toujours niveau scène suisse, Rylsee valide le collectif SuperWak Clique, le rappeur genevois Empty7 et le producteur lausannois Santo.
Di-Meh

Di-Meh

© Mr Smiff

Hors frontières, ce sont Lomepal, 6lack, Juice WRLD, Stwo ou encore l’illustre Laylow qui ne le laissent pas indifférent : « Je n'étais clairement pas prêt pour Trinity. Je me rappelle, c'était une soirée où je bricolais au studio, j'ai mis play sans trop savoir ce qui m'attendais et là, BOOM !!! C’est comme si j’avais maté un film. Je crois que j’ai écouté le disque 3 ou 4 fois d'affilée ce soir-là. Grosse claque ! Si tu lis ça Jey, bravo. »
Skateur chevronné, Rylsee confie avoir été captivé par toute la créativité qui jalonne cet art, et notamment les vidéos de ride : « Lorsque je bossais au skateshop genevois TranZport, je pouvais voir toutes les vidéos qu'on recevait. Vu qu'il n’y avait pas internet, il était difficile de mettre la main sur des skate vidéos à part en les achetant. L’une d’elles se nommait Chomp On This. Un mélange de skate amateur avec des pros comme Jamie Thomas ou Eric Koston. Le montage était super original pour l’époque. »
Artiste résident du complexe berlinois Urban Spree depuis quasiment une décennie, Rylsee a pu élaborer une multitude de concepts, son préféré ? « Je crois que les projets que j'aime le plus sont ceux qui font participer le public. Par exemple, OTHER INBOX était super cool à réaliser. Mais surtout, lorsque l'expo fût ouverte au public, elle a réellement pris vie. Les gens interagissaient avec les œuvres, rigolaient en lisant mes puchlines, se prenaient en photo devant mes sculptures... »
Une excentricité visuelle donc, qui tranche net avec le caractère introverti de son créateur : « J’aime l'idée que ce soit mon travail et non ma personne qui intéresse le public. J'ai un bon exemple à ce propos: Il y quelques années, j'avais présenté une de mes plus grandes expositions à Berlin. Je me rendais parfois à la galerie pour expliquer mon processus créatif. Il se trouve que la majeure partie des visiteurs a cru que j'étais le « garde d'exposition ». Certains s'avéraient même connaisseurs de mon travail et en discutaient avec leurs potes…tout ceci devant moi sans savoir qui j’étais réellement ! »
Rylsee - work in progress

Rylsee - work in progress

© Nathanael Gautschi

Toujours avide de nouvelles expériences, Rylsee a récemment ouvert un resto d’empanadas avec son frère Yann, tout en bossant en parallèle sur un gros projet à venir :
« Je travaille depuis plus d'un an sur l'un des trucs les plus excitant de ma carrière. Il s'agit de la conception d'une sculpture géante d'une de mes lettres pour le musée olympique de Lausanne. »
Le gamin de Veyrier a bien grandi, globetrotter aguerri, animé d’une curiosité sans bornes. L’immensité des champs de son enfance parait désormais bien infime comparé au chemin parcouru.