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Ultrafond

L’enfant soldat devenue une légende de l'ultra-trail

Mira Rai a remporté certaines des courses d’ultra-distance les plus prestigieuses de la planète malgré un parcours hors-normes. Voici son histoire.
Écrit par Matt Maynard
Temps de lecture estimé : 11 minutesPublié le
Née dans la pauvreté dans les contreforts de l’Himalaya à Bhojpar, Népal, Mira a connu une vie plutôt inhabituelle pour une ultra-runneuse. Alors que sa famille était confrontée à de grosses difficultés financières à cause de la guerre civile au Népal, Mira (alors âgée de 15 ans) a décidé de rejoindre les insurgés du Parti communiste en tant qu'enfant soldat. L’objectif était de permettre à sa famille de survivre et d'échapper aux barrières traditionalistes entourant le rôle des femmes dans la société népalaise.
C'est au cours de sa formation en tant qu'enfant soldat qu'elle a développé sa passion pour la course à pied. Une passion qui l’a fait devenir l’une des meilleures coureuses du monde, mais également un symbole d’espoir dans son pays.
Regardez le documentaire ci-dessous et découvrez son histoire dans le récit plus bas.

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Mira Rai: Courir après le bonheur

La Népalaise Mira Rai a choisi sa propre voie, qui l'a menée d'une jeunesse d'enfant soldat au sommet de l'ultra-trail. Découvrez le parcours de l'ultra-runneuse Mira Rai dans The Way of the Wildcard.

Anglais +1

28kg de riz

La star de l’ultrarunning Mira Rai est née dans la pauvreté dans les contreforts de l’Himalaya à Bhojpar au Népal.

Mira a grandi dans un village pauvre à Bhojpar

© Mira Rai

« Je n'ai jamais aimé travailler en intérieur», explique Mira à propos de sa jeunesse en tant que fille aînée de sa famille.
« Je cherchais à faire des tâches qui me permettraient d'être debout. Comme faire pousser des cultures ou élever du bétail sur des s coteaux escarpés. Quand on est une fille au Népal, il n’y a pas beaucoup de temps pour l’école. J’ai arrêté l’école à 12 ans et j’ai alors travaillé 15 heures par jour au marché. Je portais régulièrement des sacs de riz de 28 kg. Beaucoup de gens ne voient pas ça d’un bon œil, mais j’estime que ça a été une bonne formation.»

Avec les rebelles maoïstes

Mira Rai n’avait que 15 ans lorsqu'elle a été recrutée comme enfant soldat auprès des rebelles maoïstes.

À l'âge de 15 ans, Mira Rai s'est engagée auprès des rebelles maoïstes

© Mira Rai

Mira n’avait que 15 ans lorsqu'elle a été recrutée comme enfant soldat par les insurgés du Parti communiste. « Les rebelles maoïstes de la guerre civile népalaise ont traversé mon village» explique-t-elle. «Pour nous enrôler dans leurs rangs, ils nous ont garanti deux repas par jour et promis que nous serions actifs. J'ai donc décidé de quitter mon village pour les rejoindre en tant qu’enfant soldat.»
Mira voulait ainsi soutenir sa famille en grande difficulté financière à cause de la guerre. Et également échapper au carcan culturel autour des femmes au Népal, souvent obligées de travailler à la maison, de se marier et de fonder une famille. L'inégalité entre les sexes est très répandue au Népal et la plupart des filles népalaises ne sont pas scolarisées au-delà de l'école primaire.
« J'ai remarqué que les deux sexes étaient traités de manière égale au sein du Parti communiste» ajoute-t-elle. «Les femmes ont alors l'occasion d'apprendre et de s'épanouir. C’est quelque chose que j’ai vraiment apprécié.»
« Au cours de ma vie dans la jungle, nous avons d'abord séjourné dans différents villages. J’étais une gardienne de sécurité et je suivais simplement les ordres.» Mira a régulièrement bougé d’endroits plusieurs fois par semaine. Puis lorsque l'armée s'est agrandie, des camps et des bâtiments permanents ont été construits dans la jungle pour les différentes troupes de l’armée.
« Je n'ai jamais vu de combats. J’ai au contraire pu développer ma passion pour le sport et m'entraîner pour le saut en hauteur, le saut en longueur, ainsi que la course et même le karaté. Chaque matin je courais, j’enchaînais sur des exercices et des entraînements avec l’armée. Je devais apprendre à utiliser et nettoyer les armes à feu, maîtriser tactiques militaires, faire la cuisine et construire des bâtiments. Les femmes et les hommes étaient traités de la même manière et avaient les mêmes entraînements. Cela m'a rendu plus forte.»

Le retour à la maison

Portrait de la coureuse d'ultra-trail Mira Rai dans son uniforme de soldat maoïste.

Mira dans son uniforme de soldat maoïste

© Mira Rai

En 2006, la paix a été signée un mois avant le 18e anniversaire de Mira. Pendant le processus de paix, Mira a pu diriger la division sportive de l’Armée populaire de libération lors des cinquièmes et sixièmes jeux nationaux. Elle a elle-même participé aux épreuves. Mais les préjugés envers les anciennes femmes soldats maoïstes ont perduré.
« Nous avions fait partie d'un processus historique pour notre pays. Pourtant, les coutumes et la culture népalaises accordent souvent plus de valeur aux hommes. Cela s'améliore aujourd’hui, même s’il reste encore un long chemin à parcourir.»
« Finalement, je me suis retrouvée dans mon village natal à Bhojpar. Mais ça n’a pas duré longtemps. Ma mère était très fâchée contre moi. Je lui avais dit que je partais pour une courte période et deux ans s’étaient écoulés. La réhabilitation a été difficile. J'ai été empêchée d'entrer dans l'armée népalaise parce que j'étais encore mineure.»
Je voulais avoir la vie d’une femme népalaise libre et forte.
Mira Rai

La chance, c’est comme les feuilles

Mira Rai s'est passionné jeune pour le karaté.

Plus jeune, Mira Rai a découvert plusieurs sports

© Mira Rai

« En 2014, je suis parti à Katmandou, la capitale népalaise, pour poursuivre mes rêves. Je voulais une vie au-delà de ce que le village offrait. J'avais expérimenté différentes valeurs pendant mes années à l’armée. Je voulais avoir la vie d’une femme népalaise libre et forte.»
« La vie n'a pas été facile dans la capitale. J'ai continué le karaté et la course sur piste. Mais j’ai fini par avoir de la chance. Un jour alors que je n'avais presque plus d'argent et d'espoir, je suis allé courir dans le parc national de Shivapuri Nagarjun où j'ai rencontré des soldats. La chance, c’est comme les feuilles qui descendent sur une rivière. Vous devez les attraper sinon, vous ne les reverrez plus jamais. Quand les soldats m’ont invité à les rejoindre le week-end suivant, je savais que je devais être présente au rendez-vous.»
Sans information sur ce qui l’attendait et sans s’être entraînée, Mira s’est alors alignée sur une course officielle. Un ultramarathon de 50 km organisé dans le cadre d’un festival outdoor en Himalaya. Sur la ligne de départ, Mira était équipée de chaussures bas de gamme. Sans eau ni nourriture. Et elle s’apprêtait à parcourir la plus longue distance qu’elle n’avait jamais faite.

Une prodige de la course

L'ultra-runneuse Mira Rai a terminé sa première course de 50 kilomètres en 2014.

En 2014, Mira a terminé sa première course de 50 km

© Lloyd Belcher

Au cours de l’épreuve, une grosse tempête a sévi dans la vallée ouest de Katmandou, effaçant les traces de craies au sol pour les changements direction. « Pendant que je courrais, je réalisais que j’étais plutôt bonne sur cet effort et que mon enfance particulière m’avait préparée à cela. Je me suis fixée comme objectif de courir avec les hommes. Quand j’ai couru dans la jungle, ça m’a rappelé mon enfance dans les montagnes. Après 40 km sans nourriture, je ne me souviens pas avoir eu de douleur, mais j’étais peut-être en surrégime. Le manque de nourriture me donnait des vertiges.»
Heureusement pour elle, un concurrent lui a prêté de l’argent : «J'ai trouvé un magasin et acheté des nouilles et du jus de fruit. Je me suis sentie mieux après cela et j’ai continué alors que la tempête était toujours là. Je savais que quelque chose de très spécial s'était produit lorsque j'ai franchi la ligne d'arrivée. J’étais la seule femme à avoir pris le départ de la course et j’avais gagné.»
Richard Bull, l’organisateur de l’événement, a été ébloui par la performance de Mira. Il lui a proposé de l’aider pour poursuivre ses entrainements. «Elle avait une très forte envie de participer à des courses à pied» explique aujourd’hui celui qui est le directeur de course de Trail Running Nepal. «Il était facile de lui proposer de l'aider. Elle voulait surtout rester sur Katmandou.» Sans avoir l’assurance qu’elle deviendrait un jour coureuse professionnelle, Mira s’est donc mis à s’entraîner le matin, suivre des cours d'anglais en journée et s’entraîner à nouveau le soir.
Richard Bull, directeur de course de Trail Running Nepal, a été ébloui par la performance de la coureuse Mira Rai.

Mira est rapidement devenue la protégée de Richard Bull

© Martina Valmassoi

C’est comme ça que le voyage semé d’embuches vers une carrière pro d’ultrarunneusea début pour Mira Rai.

La bataille de la montée

En 2014, la traileuse népalaise Mira Rai a remporté les 83 kilomètres de l’Ultra Trail Degli Eroi en Italie.

Sur les 80 km de l'Ultra Trail Degli Eroi

© Richard Bull

Mira a ensuite voyagé en Italie en 2014, remportant la course de trail de la Sella Ronda sur 57 km. Une compétition de haut niveau qui offre plus de 500 m de dénivelé positif sur chaque tranche de 10 km. Ella a aussi remporté les 83 km de l’Ultra Trail Degli Eroi avec 15 jours d’écart seulement entre les deux épreuves.
Son style de course est presque aussi spécial que son histoire. Penchée en avant sur ses hanches, le haut du corps suit le mouvement incessant de ses jambes. Elle possède le relâchement d’un maître en yoga et la concentration d'un pilote de chasse. Quand Mira commence à être fatiguée sur une course, elle finit par hocher doucement la tête d'avant en arrière. C’est peut-être la seule expression extérieure qui symbolise sa volonté de ne rien lâcher.
En 2015, Mira a visé les 42 km de la Buffalo Stampede en Australie. À l’époque, Salomon l’avait déjà repérée et lui fournissait des chaussures et du matériel. Richard Bull continuant de son côté à l’entraîner et à l’emmener sur les différentes courses auxquelles elle participait. Pour l’Australie, un problème de visa a cependant obligé Mira à atterrir quelques heures seulement avant le début de la course. Elle s’est finalement classée troisième de l’épreuve.
Mais Mira espérait mieux et visait le prestigieux marathon du Mont Blanc, long de 80 km et organisé quelques semaines plus tard cet été-là. Cette course est réputée comme l’un des ultras les plus difficiles au monde avec ses 6 000 mètres de dénivelé positif et ses sentiers techniques.

Quand la magie opère

L'ultra-runneuse Mira Rai court pendant le Marathon du Mont Blanc en 2015, quelque temps après un tremblement de terre dévastateur au Népal.

Mira Rai lors du Marathon du Mont Blanc

© Martina Valmassoi

« Cette course a été émouvante pour moi », explique Mira à propos de l’épreuve française qui avait été organisée quelque temps après un tremblement de terre dévastateur au Népal. Ce dernier avait fait 9 000 morts et blessé plus de 22 000 personnes. C’est chargée en émotion que Mira a pris le départ de la course. Mais comme pour les sacs de riz qu’elle transportait enfant, cette épreuve a poussé Mira à donner le meilleur d’elle-même.
« Quand vous avez la capacité physique et la force mentale, c’est là que la magie opère» confirme une autre légende du trail running Lizzy Hawker à propos de la course de Mira ce jour-là.
Première de l’épreuve, Mira a battu en France des athlètes de classe mondiale et atteint enfin le sommet de son sport. En franchissant la ligne d'arrivée, elle a levé le drapeau népalais au-dessus de sa tête.
Vainqueur du Marathon du Mont-Blanc en 2015, Mira Rai a atteint le sommet de son sport. En franchissant la ligne d'arrivée, elle a levé le drapeau népalais au-dessus de sa tête

La coureuse à l'arrivée, avec le drapeau du Népal

© Richard Ball

«À l’époque, j'ai permis à mon pays d’être à nouveau fier. C’était très important pour moi» explique-t-elle aujourd’hui.

Une célébrité du Skyrunning

Sur une course dans les Dolomites

Sur une course dans les Dolomites

© Martina Valmassoi

De retour dans son village natal de Bhojpur, Mira est devenue aujourd’hui plus qu’une simple célébrité. Elle est une source d'inspiration. Elle vit actuellement à Katmandou mais revient deux ou trois fois par an dans son village natal, auprès de sa famille, pour organiser notamment la Bhojpur Trail Race.
Assise dans une maison de son village, Mira tourne les pages glacées d’un magazine. Les locaux sont impressionnés de voir qu’elle est désormais une athlète Salomon et apparaît en double page dans ces revues spécialisées. Sur la Bhojpur Trail Race, Mira récompense la jeune génération avec des médailles. Elles les passent autour de leur coup alors que leurs yeux la contemplent en espérant un jour faire aussi bien qu’elle. «On doit courir ici, sans se plaindre de la présence de la neige» insiste Mira à propos de cette course de trail particulièrement technique.
Quand vous avez la capacité physique et la force mentale, c'est là que la magie opère
Lizzy Hawker

Échanger et responsabiliser

Mira Rai gère un programme baptisé "Exchange and Empower" ("Échanger et responsabiliser") qui permet aux jeunes athlètes féminines d'accéder à une formation sportive, à l'éducation et à un travail.

Avec l'équipe du programme "Exchange and Empower"

© Mira Rai

Mira est désormais la leader d’une nouvelle génération de femmes népalaises. En collaboration avec les organisateurs du Hong Kong Trail Running Women, elle gère un programme baptisé "Exchange and Empower" ("Échanger et responsabiliser") qui permet aux jeunes athlètes féminines d'accéder à une formation sportive, à l'éducation et à un travail.
« Ce programme d'échange donne également aux athlètes népalaise la possibilité de se rendre à Hong Kong pour participer aux courses locales» ajoute Mira. «Pendant leur séjour dans la région, elles sont exposées à une nouvelle façon de faire qui contraste totalement avec la vie qu’elles mènent au Népal.»
Le programme fournit également des bourses pour aider les plus nécessiteuses, des cours d’anglais et une formation de guide de montagne pour rendre les femmes plus indépendantes sur le plan socio-économique. «Tout cela est rendu possible grâce au travail de mon incroyable équipe» insiste Mira.
L'influence de Mira façonne les sports de montagne à travers tout le Népal, un pays historiquement réputé pour ses paysages de haute altitude et les exploits fabuleux de ses sherpas en alpinisme.
Pourtant, les talents manquent sur la scène nationale de trail. Mais quelques espoirs demeurent avec notamment Sunmaya Budha, une ancienne élève népalaise passée par le programme Exchange and Empower de Mira. Elle a terminé quatrième de la finale des Golden Trail Series en 2019. Cinquième et huitième, Priya Rai et Prativa Shrestha sont également d’anciennes élèves du programme.
Le parcours de Mira et son soutien sans faille aux femmes de son pays devrait permettre de continuer à hisser le drapeau népalais sur les lignes d’arrivées dans les années à venir. «Je sais qu’il y a encore un long chemin à parcourir. Je peux faire encore plus de mon côté et promouvoir davantage les jeunes athlètes féminines et le trail comme sport d'aventure traditionnel au Népal.»
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