Analyse des résultats de l'étude conjointe lancée par Red Bull et la Sacem pour mieux comprendre l’économie du rap français, sa consommation et les attentes du public.
© Étude Red Bull x Sacem
Musique

La découverte de jeunes talents

Red Bull et la Sacem ont lancé une étude conjointe : 1713 auditeurs ont été sondés pour mieux comprendre l’économie du rap français, sa consommation et les attentes du public. Analyse des résultats.
Écrit par Genono
Temps de lecture estimé : 9 minutesPublié le
Après trois décennies d’existence, et pas mal de difficultés pour se faire accepter par les médias traditionnels et les autres genres musicaux, le rap français est aujourd’hui en excellente santé : pluie de certifications, grandes salles remplies plusieurs soirs d’affilée, concerts dans des stades, records en tous genres… Personne (hormis 2,3 relous, là-bas dans le fond) ne peut nier qu’il s’agit de la musique préférée des Français, et en particulier des jeunes générations.
La médaille a cependant son revers. Le rap français va tellement bien qu’il est devenu hyperproductif. C’est bien simple : en 2022, tout le monde rappe. Vérifiez dans votre entourage, il existe forcément un EP publié par votre voisin, un collègue de bureau, un mec qui vous conseille à la salle, votre facteur ou votre cousin. S’il n’a pas sorti d’EP, il est manager d’un rappeur ou d’une rappeuse. S’il n’est pas manager, il a au moins pourri votre boîte de réception avec un titre accrocheur du type « freestyle de mon zinc fait tourner stpppp ».
Selon le recensement de la base de données de Genius, environ 750 projets différents ont été publiés entre janvier et décembre 2021. Un véritable embouteillage qui rend impossible l’écoute de la totalité de ce qui sort chaque semaine – à moins d’être un véritable forcené qui n’a pas d’autres obligations dans la vie. Pour les artistes souhaitant se faire remarquer, difficile de sortir la tête de la masse. Pour les auditeurs à la recherche de la perle rare, le problème est le même : à force, tous les projets finissent par se ressembler.
Afin de mieux comprendre ce qui peut permettre à un jeune rappeur de se démarquer, ou à un auditeur de découvrir les artistes qui lui correspondent, l’étude Red Bull x Sacem a questionné des professionnels du milieu de la musique, les plus à même de répondre à ces interrogations.
Un premier sondage réalisé en 2018 par Mouv, l’IRMA et l’IFOP permet de dégrossir des premières données. La majorité des découvertes se ferait par deux biais : YouTube, avec son algorithme de suggestions très efficace ; et la radio, un média qui fait pourtant beaucoup moins dans la découverte que par le passé. Aujourd’hui, la programmation d’une playlist en radio est dictée par les chiffres des plateformes de streaming, il y a donc moins de place pour la prise de risques qu’à une époque où un programmateur avait la main sur le bouton de démarrage d’une carrière.
Source : Le hip-hop en France, baromètre 2018.

Comment les jeunes découvrent-ils les nouveautés musicales hip-hop ?

© Étude Red Bull x Sacem, 2021 / Source : Le hip-hop en France, baromètre 2018

Les résultats de notre propre étude ont cependant tendance à contredire ces premières données. D’après notre sondage, la radio n’est qu’un médium très minoritaire dans la quête de nouveauté du public. YouTube reste important certes mais ce sont surtout les plateformes de streaming (elles aussi dotées d’algorithmes puissants prêts à dévorer le monde) et les réseaux sociaux qui constituent les places fortes de la découverte d’artistes. Le lobbying de quelques comptes influents ou de communautés entières de fans ont tendance à payer, comme on l’a vu avec PNL en 2015, Laylow en 2020 et pourquoi pas So La Lune en 2022 – si vous ne devez retenir qu’une seule chose de cet article, c’est que son projet « Fissure de vie » est un incontournable.
L’importance des réseaux sociaux est confirmée par le témoignage d’Oumar Samaké, directeur de labels (SPKTAQLR, Golden Eye Music), producteur et manager (Lacrim, Dosseh, Dinos), interrogé dans le cadre de cette étude : « Le métier a changé. Une jeune artiste avec la bonne idée et la bonne musique peut exploser sans même qu’un mec de maison de disque l’ait approché. Les petits se débrouillent très bien tout seuls pour déclencher le buzz avec les réseaux sociaux ». Matthieu Tissier, président de Warner Chappell France, décrit le même type de mécanisme : “Aujourd’hui, on sort son morceau, on touche une audience et ensuite les professionnels viennent à vous. On n’a plus affaire à des artistes dont le but est de signer un contrat mais de toucher une audience avec leur musique ». Toute la chaîne qui va de l’artiste vers l’auditeur est donc bouleversée. Elle est plus directe, moins dictée par les exigences des maisons de disques.
Dans l’espoir d’apporter des réponses aussi complètes que possible à nos lecteurs, nous avons réalisé deux études sur des panels plus ciblés : les 14-24 ans et les professionnels. Pas de grandes différences avec le panel général des 1713 sondés, mais deux notions sont à retenir. D’abord, l’importance de la découverte via les plateformes de streaming est encore plus marquée chez le jeune public. Ensuite, la presse spécialisée a encore du poids chez les professionnels. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous, rédacteurs qui vivons de l’argent que l’on arrive à soutirer à cette presse spécialisée, ça veut dire beaucoup.
Source : Sondage réalisé par Red Bull x Sacem sur 1713 personnes, 2021.

Plateformes et réseaux sociaux pour découvrir de nouveaux artistes

© Étude Red Bull x Sacem, 2021 / Source : Sondage réalisé par Red Bull x Sacem sur 1713 personnes, 2021

La place prépondérante des réseaux sociaux dans les mécanismes de découverte de nouveaux artistes est une donnée qui mène à d’autres questions : sur quels réseaux sociaux faut-il miser pour découvrir des artistes ou se faire découvrir en tant qu’artiste ? Notre sondage répond haut et fort : INSTAGRAM. La raison pousse tout de même à la prudence car les gens qui crient et qui écrivent leurs commentaires en lettres capitales n’ont pas forcément raison. Il y a encore trois ans, personne ne vous aurait conseillé de tout miser sur TikTok. Aujourd’hui, l’application créée en Chine a offert des disques d’or à certains rappeurs, mené Disiz au premier top 1 de sa carrière (avec le titre « Rencontre » feat Damso) et sauvé la face de certains albums un peu trop proches du flop.
Pour Narjes Bahhar, responsable éditoriale du rap chez Deezer, il existe à l’heure actuelle trois indispensables : « Il faut être au moins être sur Instagram, YouTube et bien sûr sur les plateformes de streaming ». Elle ne néglige pas pour autant « la montée en puissance de TikTok qui a lancé beaucoup d’artistes ces derniers temps », mais elle considère qu’une stratégie plus globale qu’un simple titre potentiellement viral est nécessaire : « Pour sortir un titre, tu peux réfléchir à un challenge TikTok, mais en même temps, il faut être certain qu’au moment où tu vas publier ton morceau sur le réseau social, il soit bien en écoute sur les plateformes. Il y a vraiment toute une réflexion à avoir sur comment on sort sa musique ».
Source : Sondage réalisé par Red Bull x Sacem sur 1713 personnes, 2021.

Sondage focus 14-24 ans sur la découverte de nouveaux artistes

© Étude Red Bull x Sacem, 2021 / Source : Sondage réalisé par Red Bull x Sacem sur 1713 personnes, 2021

Source : Sondage réalisé par Red Bull x Sacem sur 1713 personnes, 2021.

Sondage focus professionnels sur la découverte de nouveaux artistes

© Crédit : Étude Red Bull x Sacem, 2021 / Source : Sondage réalisé par Red Bull x Sacem sur 1713 personnes, 2021

Dans notre article consacré à l’étude des données du rap en concerts et festivals, on a pu se rendre compte que la découverte d’un nouvel artiste sur scène était quelque chose de tout à fait envisageable pour la grande majorité du public. Mieux : certains sont même prêts à payer (une petite somme) en plus pour voir des artistes inconnus en live. Attention tout de même à l’effet kiss-cool : un jeune artiste n’est pas forcément bien rôdé à l’exercice scénique et un rappeur excellent sur disque peut facilement perdre ses moyens face à un public exigeant. Avant de se lancer sur scène face à des auditeurs qui n’ont jamais entendu parler de vous, il faut être sûr de son coup, capable de réaliser une grosse performance et, surtout, de chauffer une foule qui est venue pour voir quelqu’un d’autre.
Selon Mathieu Tissier, cette inexpérience scénique peut être un véritable frein au développement d’une carrière : « On a de jeunes artistes qui touchent une audience avant d’avoir fait leurs premières armes sur scène. Il peut donc arriver que certains jouent dans des salles sans avoir l’expérience du live ni le niveau de professionnalisation nécessaire. À mon sens, s’entourer de professionnels, aller plus vite sur scène et travailler sérieusement le live serait un moyen de garantir un développement plus durable. Le live est un moyen de générer des revenus certes, mais il permet surtout la fidélisation de l’audience. C’est un passage important dans la construction d’une carrière durable ». Le président de Warner Chappell France pointe du doigt une notion importante : taper dans l’œil du public est une chose, durer en est une autre. Pour vous en rendre compte, faites un tour dans vos coups de cœur d’il y a quatre ou cinq ans : combien d’artistes ont confirmé les attentes, combien ont changé de statut et combien ont totalement disparu des radars ?
Narjes Bahhar partage cette analyse : « Avant, l’objectif était de percer. Maintenant, l’objectif, une fois que tu as percé, est de réussir à durer ». Différents modèles de carrière existent aujourd’hui et il n’y a plus forcément besoin de toucher un auditorat extrêmement large pour réussir. Une fanbase restreinte mais impliquée permet de franchir de nombreux paliers et de s’installer sur le moyen voire sur le long-terme. C’est le problème du serpent qui se mord la queue : avant de pouvoir penser à pérenniser un succès, il faut être capable de faire suffisamment de bruit pour se faire remarquer.
« Chez les jeunes artistes, poursuit Narjes Bahhar, certains décident de ne pas faire d’interview médias et de se construire en communiquant leur message sur leurs réseaux sociaux et en adaptant les titres qui vont sortir en fonction des attentes de leur public. D’autres considèrent que c’est vraiment important d’être vu partout et ils vont faire le circuit classique des médias où il faut passer et vont essayer d’aller sur des titres tendance. En définitive, un jeune rappeur va être très fort, s’il est vraiment en adéquation avec sa personnalité et si le public a l’impression qu’il ne triche pas ». C’est une conclusion qui ferait presque couler une larmiche aux vétérans de ce milieu : finalement, pour réussir dans le rap, il suffit de rester authentique (c’est faux : mentez sur votre vécu, achetez des streams, mettez des voitures de location dans vos clips).